Évangile selon Jean 16 / 16-23a

 

texte :  Évangile selon Jean, 16 / 16-23a   

premières lectures :  Genèse, 1 / 1-4. 26-31a ; 2 / 1-4a ;  première épître de Jean, 5 / 1-4

chants :  55-12 et 41-05  (Alléluia)

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Aujourd’hui, tous les mots sont piégés, tout le monde pense à l’élection présidentielle… Essayez pourtant de ne pas mettre cette problématique dans chacune de mes phrases, non plus que dans celles que nous venons de chanter, sous peine de gros contre-sens, et peut-être de rater ce que l’évangéliste nous annonce dans cet extrait du dialogue entre Jésus et ses disciples. S’il faut faire des parallèles ou des passerelles ou non, vous le verrez plus tard ! Mais soyez-en sûres, il n’y aura pas de message subliminal relatif à l’élection, aucune consigne de vote cachée au détour des phrases…

 

Cette précaution oratoire étant prise, il faut bien voir que Jésus nous annonce quelque chose de nouveau, une grande nouveauté, une nouvelle création, la cause d’une grande joie. Cela vous rappelle-t-il l’annonce des anges de Noël aux bergers de Bethléhem ? « Soyez sans crainte, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » (Luc 2 / 10-11) Jésus est lui-même la cause, le sujet, de cette joie. Certes nous n’allons pas fêter Noël au printemps ! Mais je voudrais souligner combien, dans notre texte comme dans la proclamation de Noël, c’est bien Jésus qui est au centre, Jésus lui-même, sa personne, sa venue, présentée comme un événement qui va tout changer.

 

Autant dire que Jésus n’est pas que l’exaucement d’une attente, que l’accomplissement de ce qui était prévu et annoncé. Si ç’avait été le cas, tout Israël l’aurait reçu comme messie, le message n’aurait peut-être pas été transmis aux païens, et « nous serions encore dans nos péchés » (1 Cor. 15 / 17). La révolution apportée par Jésus va bien au-delà de l’accomplissement des prophéties de l’Ancienne alliance. Elle va bien au-delà d’un changement de majorité ou même de régime, même dans un pays très important – n’est-ce pas ? – comme le nôtre. En fait, elle ne parle pas de cela, elle ne concerne pas la surface des choses, elle est bien plus profonde, plus importante, vitale même, au point de ravaler tout le reste au rang d’épiphénomène. Peut-être est-ce la même chose lorsqu’une femme accouche, celles d’entre vous qui l’ont vécu pourraient le dire : à ce moment-là, rien d’autre ne peut compter ! Et la joie qui en est issue est durable, par-delà toutes les difficultés concomitantes ou subséquentes…

 

Jésus lui-même utilise cette image, comme vous l’avez entendu. C’est lui qui est cet « être humain né au monde », comme le même évangéliste le disait déjà au début à propos de « la lumière venant au monde » (Jean 1 / 9 ; 3 / 19), et déjà c’était le Christ. La suite du passage de ce matin nous dit bien que cette naissance, c’est sa résurrection – ce que les disciples d’alors, avant sa mort, ne pouvaient pas comprendre, bien sûr. Mais il faut bien dire que Jésus, dans ces quelques versets, ne parle pas très clairement, non ? Cette difficulté lui permet en tout cas de souligner à ses disciples l’étrangeté de ce qui va advenir. Sa mort, elle, n’aurait rien d’étrange. Les autres ne diront-ils pas qu’il l’a bien cherchée… ? Mais ce « encore un peu » résonne bizarrement : va-t-il partir pour un voyage, petit ou grand ? Où va-t-il ?

 

C’est qu’il doit venir, c’est que du neuf doit venir. Et pour que le neuf arrive, il faut que meure le vieux… À ceci nous avons, nous, toujours de la peine, d’une manière générale, que ce soit dans nos vies, dans la société, dans l’Église, n’importe où. C’est qu’avec l’ancien disparaissent nos repères, et sans eux, évidemment, nous sommes perdus. C’est exactement ce que Jésus annonce. Mais bien sûr, cela ne concerne pas les petits désagréments de nos existences quotidiennes ni même les angoisses ou les espoirs liés à une élection ! Cela concerne notre manière de suivre Jésus, et donc cela concerne le sens de notre vie et le sens de la vie du monde entier. Que cela rejaillisse ensuite sur le reste, c’est évident, sinon ça ne sert à rien ! Mais en attendant, voyons donc ce que Jésus nous annonce : il s’en va, et nous resterons sans lui…

 

C’est bien dans cet état que nous sommes, non ? Jésus n’est pas là, et voici : « vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira : vous serez dans la tristesse… » Chères amies, lorsque nous regardons notre propre vie, chacun ; lorsque nous regardons notre paroisse ; lorsque nous regardons l’état de notre pays et celui du monde, qui vient sans Dieu ou contre lui ; bref, quand nous regardons la réalité, nous sommes portés à désespérer. C’est Marthe disant à Jésus, après la mort de Lazare : « si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (Jean 11 / 21). Notre sentiment réel de l’absence de Jésus est pour nous une catastrophe, là où notre foi s’est repliée en croyance, en doctrine que rien n’étaye dans notre expérience quotidienne. Nous sommes chrétiens, mais c’est pour nous seulement une morale – difficile à vivre, en plus : qui de nous tend vraiment l’autre joue (Matth. 5 / 39), qui pardonne « jusqu’à 70 fois 7 fois » (Matth. 18 / 22) …? Et aussi une espérance, mais comme désabusée Pour reprendre l’histoire de Marthe : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » (Jean 11 / 24) Oui, un jour, dans longtemps… En attendant, le monde me dit : « où est ton dieu ? » (Ps. 42 / 4) et il rigole…

 

Peut-être est-ce que nous n’avons pas compris Jésus. Je veux dire : nous n’avons pas compris la relation qu’il a voulu nouer avec nous. Nous avons cru qu’il fallait le suivre. Peut-être même avons-nous cru que ce serait facile, quand nous étions jeunes ! Mais il est parti, il est invisible, on ne sait pas où il est, on ne sait pas quels choix nous devons faire en tant que chrétiens. Là où nous nous battons, là où nous trébuchons, là où nous sommes écrasés – et parfois par notre propre faute – nous le cherchons du regard, nous scrutons les Écritures, mais aucune réponse claire ne nous vient. Jésus n’est pas là à nous dire quoi faire. Les Écritures bibliques ne sont pas un livre de recettes, malgré la pratique des sociétés bibliques d’autrefois de nous dire que dans tel cas, lire tel psaume, etc. Nos efforts ne nous servent à rien pour vivre en chrétiens…

 

Après avoir ainsi fait comme si Jésus était un maître à la manière des hommes, un enseignant à écouter, et nous être rendu compte que nous ne l’entendions pas, peut-être faut-il envisager une autre relation avec lui que de pleurer son absence et notre défaite ? Car ce qu’il nous dit, c’est une promesse de victoire. Mais pas pour après-demain : pour « encore un peu… » Autant dire que depuis 2.000 ans, c’est arrivé ! Car il est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! Cette acclamation de Pâques ne peut pas être une formule liturgique : c’est le cri du cœur qui rencontre son Seigneur et qui explose de joie. Suivre ce Jésus-là, ce n’est pas mettre en œuvre un enseignement, c’est marcher sur la route de la vie éternelle derrière lui, qui a ouvert la porte pour nous. Son changement à lui a opéré notre propre changement en lui.

 

Et maintenant, « l’être humain né au monde », mais né de nouvelle manière, « né de nouveau », « né d’en-haut » (Jean 3 / 3), ce n’est pas seulement lui, mais celui ou celle qui marche avec lui dans la foi. Quelque part, il faut que nous renoncions à nos pleurs et à nos lamentations, et c’est difficile, parce que ça fait partie de notre vie, de nous-mêmes : nous sommes là, nous sommes pécheurs, « incapables par nous-mêmes d’aucun bien », et Jésus n’est pas là, il est muet. Malgré nous, nous avons pris cette habitude. Et notre premier mouvement, c’est de refuser la résurrection de Jésus, la réalité de cette résurrection, la réalité de cette recréation du monde par-delà et par-dessus la mort. C’est plus facile de la refuser que de l’accepter, c’est plus rationnel, c’est beaucoup moins dérangeant, ça ne nous remet pas en question…

 

Mais voilà, la foi chrétienne, c’est de se laisser déranger, et même réenfanter ! C’est de renaître avec le Christ. C’est de renoncer non pas « à Satan et à ses pompes », comme le disaient les anciennes liturgies de baptême, mais de renoncer à nous-mêmes, à nos pleurs et à nos lamentations. Ce n’est pas tant de « voir Jésus », fantasme d’appropriation condamné à ne jamais se produire, que d’être vu par lui, comme il le dit bien : « je vous verrai de nouveau ». Nous croyons toujours que c’est à nous d’aller vers Dieu, comme si nous en étions capables. Voilà pourquoi nous pleurons ! La foi chrétienne, c’est que c’est lui qui vient vers nous, c’est lui qui nous voit là où nous sommes, là où nous avons mal, là où nous pataugeons… La foi chrétienne, ce n’est pas que nous nous épuisons à aller vers lui, c’est que nous exultons de joie d’être sous son regard, car c’est son regard qui nous voit comme de nouvelles créatures, c’est son regard qui nous voit comme des enfants de Dieu, c’est son regard qui change le monde. Et ça, c’était déjà dit dans la première page de la Bible : « Dieu vit que c’était bon », en parlant de nous et du monde… (Gen. 1)

 

Si donc vous savez que Jésus est ressuscité, comprenez qu’il vous voit, que vous n’êtes pas seules, que vous n’êtes pas mortes, que vous n’êtes plus perdues. Réjouissez-vous de la joie de Pâques, « et nul ne vous ôtera votre joie ». « Le monde ancien est passé » (1 Cor. 5 / 17), ce n’est pas une parole vide, c’est la réalité de ce monde-ci en Christ, sous le regard de Dieu. Notre regard à nous est trompeur : il voit le mal, il ne voit pas le Christ. Le regard de Dieu est vrai, qui en vous regardant voit le Christ, et ne voit pas le mal. La foi en la résurrection, la foi chrétienne, c’est de nous soumettre au regard paternel bienveillant de Dieu, et de nous en réjouir. Quel que soit le résultat du vote de ce jour, quelle que soit votre existence, avec ses grandeurs et ses misères, le Christ ressuscité vous a fait naître au monde nouveau qui vient.

 

De cela, vous avez, nous avons à tirer les conséquences chaque jour et dans tous les domaines : comment donc laisser notre « joie imprenable » se manifester à la maison, au-dehors, mais aussi au-dedans de nous-mêmes, et encore dans la vie sociale, dans les relations familiales, etc. ? Comment laisser cette joie d’être « né de nouveau » en Christ changer nos relations les uns avec les autres, « parce que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde » ? Au lieu de chercher à résoudre des problèmes parfois insolubles, comment pouvons-nous laisser libre cours à la joie chrétienne afin que problèmes et solutions disparaissent au profit de l’amour mutuel ? N’attendez pas cela des politiques, ni des journalistes, ni des humoristes : attendez-le du Christ, c’est lui qui le fera. Mais attendez-le vraiment de lui, attendez-vous à lui « plus que les gardes ne s’attendent au matin », comme le chantait le psaume (Ps. 130 / 6).

 

Et recevez cette promesse : « en ce jour-là, vous ne m’interrogerez plus sur rien. » Car si c’est un on maître qu’on interroge, c’est du Ressuscité qu’on vit. Dans la communion intime avec lui, pas besoin de questions ni de réponses : la joie de la relation qui renouvelle toute chose suffit à tout. Voilà ce qu’il nous invite à vivre. Cessons de résister à cette bonne nouvelle sous prétexte de réalisme et de « il faut bien », vivez heureuses, joyeuses, en lui. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  7 mai 2017

 

 

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