Évangile selon Jean 6 / 30-35

 

texte :  Évangile selon Jean, 6 / 30-35   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Exode, 16 / 2-3. 11-18 ;  Actes des Apôtres, 2 / 41-47 ;  Évangile selon Jean, 6 / 1-15

chants :  626 et 581  (Arc-en-ciel)

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Quand on vous le dit, qu’un miracle ne sert à rien ! Enfin… ne sert pas à convertir qui que ce soit ! Voit-on un miracle ? Ce n’est pas alors la foi qui vient, mais la question : « qu’est-ce que c’est ? » – en hébreu : « man hou », question qui a donné son nom à la manne… Voilà, un miracle, ça donne « quoi ? », seulement une question, pas même l’ombre d’une réponse – ou alors, une mauvaise réponse. Lorsque Jésus a eu multiplié la nourriture pour la foule qui le suivait, elle lui a couru après non pas pour l’adorer, non pas pour lui exprimer sa confiance totale, mais « pour le faire roi », nous dit l’évangéliste. Et nous sommes bien placés pour savoir que les rois, on leur coupe la tête, ou alors, quand on élit quelqu’un, deux mois après on n’y croit déjà plus… C’est que – le savez-vous ? – il y a deux mots qu’on traduit habituellement par « miracle » : un qui veut dire « acte puissant », et un autre, utilisé beaucoup dans l’évangile de Jean, qui veut dire « signe ». Un « acte puissant » ne renvoie qu’à lui-même et à l’éphémère puissance qui l’a produit. Un « signe », au contraire », renvoie à quelqu’un d’autre, à un sens à découvrir ; il est une flèche qui indique une route à suivre.

 

Alors, nourrir le peuple : acte puissant ou signe ? Les matérialistes vous diront que c’est un acte puissant, et selon leur orientation idéologique ils prétendront que c’est aux puissants de le faire ou bien au peuple de se servir lui-même, tandis que d’autres prétendront qu’il faut se serrer la ceinture par égard pour la planète. Ce débat n’est pas le nôtre, puisque justement, dans nos textes de ce matin, il ne s’agit pas d’actes puissants, mais d’abord de signes. Et c’est bien ce que les gens qui ont retrouvé Jésus lui demandent : un signe afin qu’ils croient. Et ils lisent la manne comme un signe qu’avait donné Moïse. Mais ils n’ont donc pas lu la multiplication des pains et des poissons comme un signe, seulement comme un miracle que tout le monde peut faire, ou presque ! Car, c’est vrai, vous pouvez multiplier la nourriture, la vôtre, afin que d’autres aient moins faim sans pour autant que vous manquiez. C’est vrai, vous pouvez partager vos biens, car vous et moi nous n’en manquons pas. Tout ce que la première communauté chrétienne faisait, selon le petit « sommaire » des Actes des Apôtres, nous le pouvons aussi. Mais si c’est notre œuvre, simplement politique, simplement idéologique, simplement socio-économique : quel intérêt ? Pour que les gens vous en soient reconnaissants ? Ça, c’est passé de mode…

 

C’était d’ailleurs une des tentations de Jésus au désert, la première : transformer les pierres en pain (Matth. 4 / 1-4). La puissance ! La puissance de la solidarité par la maîtrise de la nature et des mécanismes auxquels on est d’habitude soumis. Jésus a refusé. Ce n’est donc pas pour ça qu’il a multiplié la nourriture pour que « 5.000 hommes » aient à manger et soient repus. C’était d’une part parce que ces gens avaient faim. Mais surtout, d’autre part, comme un signe – ce qui transparaît dans l’échange entre lui et Philippe. Mais le signe n’est pas reçu pour ce qu’il est. Ni les guérisons ni le rassasiement des foules ne sont reçus comme ils le devraient. Jésus est alors obligé d’expliquer l’Écriture, de montrer qu’elle parlait de lui et non de Moïse, qu’elle parlait de lui et non du « quoi ? » du désert. Car l’Écriture n’est faite que pour parler de Jésus, je ne cesse de le dire malgré l’incompréhension des chrétiens qui ont perdu l’habitude de la lire ainsi… Si vous lisez l’Ancien Testament comme une histoire, fût-ce celle des relations entre Dieu et Israël, alors ne l’appelez pas « Ancien Testament », mais « livre d’histoire sainte » ! Pourtant les Juifs eux-mêmes savent bien que ce Livre est Torah et Prophétie, et qu’il pointe vers le présent et l’avenir et non vers le passé ; vers une autre réalité – même s’ils n’ont pas reconnu, la plupart d’entre eux, que cette autre réalité, c’était Jésus…

 

L’Ancien Testament, ce n’est pas que le livre de l’ancienne alliance, mais c’est le livre ancien de la nouvelle alliance ! Le don de la manne pointait donc vers autre chose. Jésus dira même, quelques versets plus loin : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts. » (6 / 49) La manne n’a certes pas « donné la vie au monde », même si elle a nourri les Hébreux pendant 40 ans au désert, jusqu’à la disparition de toute la génération sortie d’Égypte. De même les pains et les poissons distribués par Jésus n’ont pas non plus « donné la vie au monde », mais même les personnes nourries ainsi ont dû à nouveau prendre de la nourriture… jusqu’à leur mort… Jésus n’est ni un homme puissant et riche qui peut nourrir les foules, toutes les foules affamées d’un monde injuste, ni un révolutionnaire qui leur enseigne comment prendre aux riches, ou comment partager entre eux. La « multiplication des pains » n’est pas un grand partage fraternel, rien dans le texte ne le laisse supposer. Mais cette multiplication, tout comme la manne, désignait « le pain venu du ciel ».

 

Or ce pain n’est pas celui du récit de la manne, et ce n’est pas non plus celui de la multiplication des pains. Ce que les deux récits – parmi d’autres qui portent le même message, la même espérance – ce que ces deux récits enseignent et désignent, c’est « le pain de Dieu, celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ce pain serait-il la Loi de Dieu, la Torah d’Israël, elle qui nous enseigne à partager afin qu’il n’y ait pas de pauvres parmi nous (Deut. 15 / 4), et à nous tourner vers Dieu ? Mais cette Loi a condamné Israël, elle a condamné Jésus, elle nous condamne vous et moi. Elle ne fait pas vivre. Lorsque la Bible dit, pour le critiquer : « mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (Ésaïe 22 / 13 ; 1 Cor. 15 / 32), elle ne parle pas d’abord d’alimentation, mais de religion : si nous mangeons la Torah, si nous pratiquons la Loi, tout ce que nous ne pratiquons pas en elle nous fera mourir – et même tout ce que nous pratiquons si nous croyons faire là un sacrifice, une œuvre pour Dieu afin qu’il nous sauve ! Alors, non, la Torah venue du ciel, la Loi donnée par les anges (Actes 7 / 53 ; Gal. 3 / 19), ne fait pas vivre. Et ceux qui le savent, qui l’ont expérimenté, peuvent alors attendre autre chose, ou bien désespérer. Nous, nous attendons autre chose, un autre « pain ».

 

Ni Moïse, ni les anges, ni la religion, ni la tradition, ni la politique, ni l’économie, ni vous, ni moi… C’est le « Père [de Jésus qui] donne le vrai pain venu du ciel. » Nous n’avons ni à donner ni à prendre, mais à recevoir, comme des enfants aimés de leurs parents et donc bien élevés. Ce pain-là nous est inaccessible autrement. Les auditeurs de Jésus l’ont bien compris – pour le moment, avant de l’abandonner – lorsqu’ils lui disent « Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là. » Et dans la prière qu’il nous a enseignée et que nous répétons inlassablement, nous adressons au Père la même demande : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour-là… » (Matth. 6 / 11) Comme toute prière, celle-ci manifeste en même temps notre confiance et notre manque de foi. Notre confiance, puisque nous demandons à Dieu ce que Jésus nous a dit de demander ; mais notre manque de foi, car nous ne croyons pas que nous l’avons déjà reçu – c’est-à-dire que nous n’en vivons pas, nous faisons comme les Hébreux avec la manne, nous recevons, nous faisons ce qu’il faut, mais cela ne nous mène qu’au bout de notre route, cela ne nous mène pas sur la route de Dieu, sur la route de la vie éternelle. « Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » (1 Cor. 15 / 19)

 

La promesse du Christ n’est donc pas que nous aurons du pain tous les jours de cette vie, jusqu’à notre mort. L’expérience nous prouve d’ailleurs que ce n’est pas vrai pour tout le monde. Et si certains vivent longtemps et tranquillement, d’autres meurent trop jeunes, ou bien vivent trop mal, n’ont ni pain ni toit et parfois pas même d’intégrité physique. Y compris des chrétiens, sans compter ceux qui meurent sous la persécution. Je le redis, si nous attendons de Dieu des « actes puissants » à notre bénéfice ou à celui de nos proches, nous ne sonnons pas à la bonne porte. Notre Dieu n’est ni Jupiter ni Baal, ce n’est pas là ce qu’il nous offre – même s’il lui arrive de le faire, de nous faire « signe » … Il y a d’autres professionnels mieux placés : médecins, psychologues, épiciers, restaurateurs, politiciens, etc. Dans la foi, c’est bien un autre pain que nous attendons, parce que nous savons avoir besoin de cet autre pain, que nous ayons à manger ou pas, que nous soyons en bonne santé ou pas, que nous soyons pleins de vie ou en train de mourir… Et Dieu seul peut donner cet autre pain.

 

Et Dieu seul l’a déjà donné, puisqu’il s’agit de Jésus lui-même, comme il nous le dit : « Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Il est lui-même la Parole de Dieu qui nourrit et qui désaltère. Pas la religion, encore que nous ne sachions pas exprimer autrement notre foi. Pas la Bible, encore que la Parole se fasse connaître à travers elle. Pas l’Église, encore qu’elle soit le moyen par lequel nous pouvons témoigner avoir reçu cette Parole et en vivre : « Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. » « Le pain de vie », c’est Christ, Christ seul. Sans nous. Pour nous et pour le monde. C’est ce que nous célébrons chaque fois que nous partageons la cène à laquelle il nous invite et à laquelle il nous distribue ce pain qui est lui-même, ce vin qui scelle l’alliance en son sang versé sur la croix. C’est de lui, de cette réalité, qu’il nous propose d’être nourris et désaltérés. Le repas eucharistique nous fait « signe », il nous montre en images, avec pain et vin, ce que Dieu fait réellement lorsque nous « venons vers [Jésus] » et que nous « croyons en [lui] ».

 

Comment s’y prend-il ? La tradition calviniste dont nous sommes issus a toujours dit que la question était sans intérêt, la réponse hors de notre portée. Mais elle a toujours fortement affirmé, comme les traditions catholique et luthérienne, qu’il le faisait vraiment à l’occasion de la célébration de la cène. Mais ce qu’il fait à ce moment-là, la nourriture spirituelle qui nous nourrit vraiment, ce n’est pas pour le moment du culte, mais c’est pour notre vie quotidienne, et non pas jusqu’à notre mort, mais jusqu’en éternité. Les théologiens du début du second siècle parlaient, à propos du pain de la cène, de « médicament d’éternité ». C’est de Jésus lui-même qu’il faut le confesser : il est celui qui remédie à notre infirmité pour toujours. La question actuelle est alors non pas d’y croire ou pas, mais d’en vivre ou pas. Vivons-nous comme des gens guéris pour toujours à cause de cette médication à renouveler sans cesse, ce traitement qui nous empêche d’avoir faim et soif parce qu’en Jésus nous avons tout, pleinement (Col. 2 / 10) ?

 

Le festin nous attend, nous et tous ceux que, tout au long de notre vie guérie, nous y inviterons de la part de celui qui nous invite. Laissez-vous nourrir par lui, car lui seul nourrit véritablement et durablement. Ne vous souciez pas du reste. « Ne vous inquiétez donc pas, en disant : “Que mangerons-nous ?” ou : “Que boirons-nous ?” ou : “De quoi serons-nous vêtus ?” Car cela, ce sont les païens qui le recherchent. Or votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Matth. 6 / 31-33) Frères et sœurs, cela nous est donné. Faisons confiance, approchons-nous, et vivons-en. C’est une joyeuse promesse, et elle est accomplie pour vous qui croyez. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  30 juillet 2017

 

 

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