Évangile selon Jean 5 / 39-47 (1)

 

texte :  Évangile selon Jean, 5 / 39-47   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Deutéronome, 6 / 4-9 ; Évangile selon Luc, 16 / 19-31

chants :  61-81 et 22-07  (Alléluia)

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Lazare est ressuscité des morts (Jean 11 / 43-44), mais cela n’entraîna chez les chefs juifs qu’une seule chose : « Dès ce jour, ils résolurent de faire mourir [Jésus]. » (v. 53) La petite histoire que Jésus raconte nous le dit bien, les miracles ne servent à rien pour ceux qui ne croient pas, même si notre monde très médiatique, rempli d’images, adore les miracles : ils ne renvoient jamais au Dieu de Jésus-Christ… Lazare mérite-t-il alors son nom ? « Dieu a aidé » … Mais Dieu n’a pas aidé Lazare pendant sa triste vie. Et à travers Lazare, Dieu n’aidera ni le riche qui brûle en enfer ni ses frères encore vivants. Alors quoi ? Qu’est-ce qui aide, qu’est-ce qui aide à croire, qu’est-ce qui aide à avoir la vie éternelle ? « Sola scriptura », répond l’évangéliste : l’Écriture seule !

 

Lorsque nous disons cela, nous pensons au Nouveau Testament, qui parle clairement de Jésus – encore qu’il en parle de plusieurs manières parfois un brin différentes… Mais lorsque Jésus, lui, parle des « Écritures », c’est de notre Ancien Testament qu’il parle. D’ailleurs, il utilise le nom de Moïse comme synonyme de ces Écritures, de cette Torah qui signifie à la fois Loi et enseignement. Nous autres réformés, nous avons pratiqué abondamment l’Ancien Testament, au point que les catholiques nous envient là-dessus, eux qui le connaissent fort peu – j’en ai encore l’expérience dans les groupes d’étude biblique à Saint-Dié. Mais hélas, il me faut le dire au passé, car aujourd’hui nous ne sommes pas meilleurs que nos frères et sœurs, et lorsque Jésus dit « vous sondez les Écritures », je doute qu’il parle vraiment de nous aujourd’hui…

 

Mais si c’est le cas, ou lorsque ce fut le cas autrefois, nous avons surtout lu dans cet Ancien Testament une « histoire sainte », des histoires que nous avons apprises à nos enfants, le récit des alliances de Dieu dans le passé lointain de l’histoire d’Israël. Tout au plus avons-nous lu certaines prophéties, notamment d’Ésaïe ou de Zacharie, comme annonçant le Christ ; et d’ailleurs nous les relisons encore à Noël ou au Vendredi saint. Mais sur le reste des Écritures d’Israël, nous avons oublié que leur but, selon Jésus, c’était de « rendre témoignage de [lui]. » Lors de la Réforme dont nous fêtons les 500 ans cette année, Luther, lui, avait entendu et compris cette parole, et lorsqu’il lisait l’Écriture, c’était pour y chercher le Christ, tant il est vrai que ce ne sont pas les Écritures qui donnent la vie éternelle, mais le Christ, le Christ seul.

 

Certains, confondant Jésus et Jupiter, le cherchent dans la nature ou dans le surnaturel – déjà en son temps, et toujours aujourd’hui… Mais notre soif de merveilleux ni nos complexes écologiques n’ont de rapport avec la foi ou avec la vie éternelle. Ce qui ne les disqualifie pas, mais les laisse à leur place ! Quant à Jésus, il nous le dit lui-même ce matin, c’est dans les Écritures qu’il faut le rechercher, c’est par les Écritures que Dieu nous aide, c’est elles qui sont Lazare pour nous, tant que nous sommes vivants, car ensuite c’est trop tard ! Ce qui fait que ces Écritures sont une Torah, ce qui fait qu’elles font Loi pour nous chrétiens, ce ne sont pas les commandements, ce n’est pas l’histoire sainte non plus, c’est parce qu’elles nous parlent de Jésus.

 

Nous avons réentendu le « shema’ Israël » tout à l’heure : « Écoute, Israël… » Parle-t-il donc de Jésus ? Bien sûr ! Selon Jésus, vous l’avez entendu, l’amour de Dieu – le premier commandement ! – consiste à « recevoir » Jésus, lui qui est la gloire du Père. Qu’est-ce que c’est, le recevoir ? Il suffit de relire la suite du « shema’ Israël » : « ces paroles seront dans ton cœur, tu les inculqueras…, tu en parleras…, tu les attacheras…, tu les écriras… » etc. Recevoir Jésus – c’est l’Ancien Testament qui nous le dit – c’est s’attacher jour et nuit à l’Évangile, en vivre, ne pas le taire, l’annoncer… Il n’est pas question de croyance, comme ce à quoi un miracle nous obligerait, mais bien de foi, de changement de tout notre être, de toute notre vie. Recevoir Jésus, c’est se convertir à lui, c’est le suivre – et c’est bien ce que nous disent les Écritures.

 

Les Écritures sont donc le passage obligé. Parmi les premiers chrétiens, il en était qui prétendaient s’en passer. Le plus connu est Marcion, qui à Rome au milieu du second siècle enseignait que le Dieu de la Bible juive n’était pas le bon, mais un Dieu méchant : il pensait donc qu’il ne fallait pas lire ces textes. L’Église le mit à la porte, mais son enseignement remonte régulièrement, et d’autant plus que nous lisons moins ! Fidèle au texte de ce matin, l’Église chrétienne enseigne donc que si l’alliance mosaïque est caduque, en tout cas dépassée pour nous, son Écriture n’en est pas moins incontournable pour recevoir et vivre la nouvelle alliance, car c’est cette dernière qui est la volonté de Dieu depuis la création du monde, c’est elle qui peut se lire à travers l’ancienne. Nous avons donc une Bible complète, et non pas seulement un Nouveau Testament, comme aurait voulu Marcion. Il nous faut donc la lire toute…

 

Mais la lire comme il convient, comme Jésus nous le dit. Non pas « mettre [notre] espérance en Moïse », mais le lire pour y trouver le Christ en qui seul nous mettons notre espérance, car en lui seul est la vie. Moïse « a écrit à mon sujet », dit Jésus. C’est ce qu’il nous faut chercher dans l’Ancien Testament, afin de comprendre le Nouveau. Que dit donc l’Ancien Testament sur Jésus ? Je vous en ai donné un très bref exemple avec le « shema’ Israël ». Mais la première condition pour lire le Nouveau Testament dans l’Ancien, c’est évidemment de lire l’Ancien ! Ne vous laissez pas rebuter, arrêter, par ce qui vous apparaît comme de la mythologie ou par de la violence assumée. La violence est la condition normale des relations humaines, l’affaire qui ressurgit cette semaine sur les rives de la Vologne le montre assez, jusqu’à vomir. Point n’est besoin d’aller au bout du monde pour ça, nos familles et nos miroirs y suffisent : nous sommes des animaux hyper-violents. Il ne faut donc pas s’étonner que ce soit à travers elle que la Parole de Dieu ait dû se frayer un passage : Jésus n’est pas mort dans son lit après une heureuse vieillesse, mais cloué sur un poteau de bois après avoir été torturé…

 

Quant à la mythologie, elle n’est qu’un langage, un moyen de dire l’indicible, de raconter ce qu’on ne pourrait pas raconter autrement. Ne vous attachez pas au langage, mais à ce qu’il exprime. Vous attachez-vous à l’historicité, à la scientificité, d’une origine du monde en six jours (Gen. 1) ? Moi pas. Mais attachez-vous à ce que ce texte montre du sens de l’univers et de votre propre vie comme création du Dieu que nous connaissons comme étant le Père de Jésus-Christ – c’est le contraire du marcionisme que j’évoquais tout à l’heure. Et si l’histoire de l’ancien Israël était elle-même de la mythologie ? Mais, chers amis, lorsque vous racontez votre propre histoire, vous aussi, comme moi, vous faites de la mythologie ; je suis sûr qu’un observateur impartial et désintéressé raconterait complètement différemment, et peut-être même autre chose que vous ! Mais un tel observateur n’existe pas…

 

L’observateur qui raconte est un acteur – comme nous l’a bien montré la physique théorique d’ailleurs – et dans les Écritures, cet observateur, c’est Dieu, et il n’est pas neutre ! Il raconte ce qu’il est, ce qu’il fait, dans le monde, dans son peuple, dans votre vie et dans la mienne. Et ce qu’il est, ce qu’il fait, c’est Jésus-Christ, lui qui dira à ses contradicteurs : « Avant qu’Abraham fût, moi je suis. » (Jean 8 / 58) Et son récit modifie l’histoire, son récit modifie le monde, et votre vie, et la mienne, si nous prenons connaissance de ce récit, si nous le laissons nous interpeller, nous interpréter même ! « Celui qui vous accuse, c’est Moïse », déclare Jésus. L’Ancien Testament nous révèle ce que nous sommes, ce que nous valons, et pourquoi Dieu a besoin de nous racheter de la mort qui a pris pouvoir sur nous au point que nous l’affectionnons. Nous n’aimons pas le Dieu éternel, nous nous aimons nous-mêmes qui allons mourir : voilà ce que montre l’Ancien Testament, voilà ce que nous disent toutes ces lois qui condamnent à mort ce que nous sommes et ce que nous vivons, voilà ce que racontent ces récits, ces poèmes, ces proverbes : notre éloignement de Dieu, et lui qui nous court après pour tâcher de nous rattraper, de nous sauver !

 

Et dans cette course-même, il est « premier-né d’un grand nombre de frères » (Rom. 8 / 29). D’autres que nous ont été rattrapés par lui, dès la création du monde, et c’est leur histoire que l’Ancien Testament raconte, c’est cette course du Fils unique à la reconquête de ses frères et sœurs. C’est une course violente, il y est mort. C’est une course violente : nous sommes appelés à y mourir avec lui pour ressusciter avec lui (2 Tim. 2 / 11). En fait, Lazare, c’est Jésus : en lui Dieu nous aide, mais d’une aide dont nous ne voulons pas, car nous ne voulons rien changer de nos existences, sinon qu’elles se passent mieux selon nos critères à nous, de santé, de richesse, de reconnaissance. Nous ne voulons pas être Lazare, mais l’homme riche, sans voir qu’il brûle dans le néant… Mais nous avons la Bible, nous avons cette histoire qui est notre histoire, l’histoire de notre rencontre avec Dieu, l’histoire de cette rencontre qui se passe mal pour pouvoir bien se conclure…

 

Puisse donc « Moïse » ne pas « nous condamner », car le Christ se laisse trouver par nous, comme il nous le disait dans le prophète Ésaïe : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; Invoquez-le tandis qu’il est près. » (És. 55 / 6) et dans le prophète Jérémie aussi : « Vous me chercherez et vous me trouverez, car vous me chercherez de tout votre cœur. Je me laisserai trouver par vous. » (Jér. 29 / 13-14a) Nous ne sommes pas condamnés à « chercher où chercher », si j’ose dire ! Nous avons carte et boussole, et nous avons le Saint Esprit si nous le demandons avec foi, si nous faisons confiance à Dieu pour nous le donner (Luc 11 / 13). Comme le chantait un psaume : « Tu n’as désiré ni sacrifice ni offrande, Tu m’as ouvert les oreilles ; Tu n’as demandé ni holocauste ni [sacrifice pour le] péché. Alors je dis : Voici je viens Avec le rouleau du livre écrit pour moi. Je prends plaisir à faire ta volonté, mon Dieu ! Et ta loi est au fond de mon cœur. J’annonce la bonne nouvelle de la justice dans la grande assemblée ; Vois, je ne ferme pas mes lèvres, Éternel, tu le sais ! Je ne cache pas dans mon cœur ta justice, Je parle de ta fidélité et de ton salut. » (Ps. 40 / 7-11)

 

Cette prière, Jésus seul peut la dire sans mentir. Mais en lui, nous pouvons nous aussi la prier, si nous venons avec le Livre, si nous y avons lu le chemin par lequel il est venu lui-même nous chercher là où nous étions pour « nous prendre avec lui » (Jean 14 / 3). Lisons donc l’Ancien Testament pour y trouver le Nouveau, pour y lire l’amour que Dieu nous porte malgré ce que nous sommes, pour y entendre Jésus nous enseigner à prier et à « comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et de connaître l’amour du Christ qui surpasse la connaissance » (Éph. 3 / 18-19). À comprendre et à en témoigner ! Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  18 juin 2017

 

 

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