Évangile selon Luc 12 / 42-48

 

texte :  Évangile selon Luc, 12 / 42-48   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Ésaïe, 65 / 17-25 ; Apocalypse de Jean, 21 / 1-7

chants :  31-19 et 44-14  (Alléluia)

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La cité éternelle, nous l’attendons. Promise par le ministère prophétique d’Ésaïe, contemplée en espérance par Jean, nous, nous ne la voyons pas encore, mais nous l’espérons et l’attendons, et tel le veilleur nous l’annonçons à notre tour. Mais l’attendons-nous vraiment ? C’est la question que Jésus pose à travers sa devinette, et qu’il nous pose. Cet article fondamental de notre foi est-il encore si important dans la pensée et l’expression de cette foi ? Bref : y croyons-nous vraiment ? Car souvent, ce que nous appelons l’espérance chrétienne s’est transformée : elle n’attend plus la Jérusalem céleste, le Royaume de Dieu, la fin de ce monde-ci, le retour du Seigneur – toutes expressions à peu près synonymes. Mais elle s’est individualisée, privatisée en quelque sorte : notre espérance s’est recroquevillée sur nous et les nôtres, elle porte désormais sur ce qui adviendra de nous après notre mort. Et, du coup, nous n’en disons plus rien…

 

C’est vrai aussi que nous craignons d’être pris pour des sectaires annonçant la fin du monde afin d’encarter dans leur secte le plus de gens crédules possibles, et tous ceux qui sont désemparés de la vie dans ce monde, tous ceux qui sont désespérés et ne se tournent plus vers nous, vers l’Évangile que nous portons vers eux – quand nous le leur portons ! Mais ces sectaires, comme tous les apocalypticiens de tous les temps et de toutes les religions, ils annoncent un jugement sans pardon, ils annoncent la mort définitive de tous ceux qui ne sont pas comme eux, de tous ceux qui ne sont pas avec eux. Ils vous en disent même parfois la date, exercice périlleux s’il en est. Il n’y a rien de tout ça dans notre Bible ! N’avez-vous pas entendu Ésaïe et Jean ? Certes, il y a des exclus, ceux qui rejettent cette bonne nouvelle ; mais c’est une bonne nouvelle. Et elle est offerte à tous, et c’est pourquoi notre service dans ce monde consiste à l’annoncer, à annoncer qu’en Jésus mort et ressuscité, c’est cette vie-là qui nous est promise, et pas individuellement, mais à toute l’humanité. C’est, à proprement parler, « un nouveau ciel et une nouvelle terre ».

 

Nous sommes au service de cette bonne nouvelle. Et Dieu a établi sur nous des intendants chargés de nous nourrir en vue de ce service. Évidemment, je me sens un peu concerné en entendant cette parabole : ici, c’est moi l’intendant. Entendez bien : les chrétiens sont les serviteurs, les annonceurs de l’Évangile, les veilleurs. Les pasteurs, et d’une autre manière les conseillers presbytéraux, sont les intendants non pas du Royaume, mais du service de l’Évangile, de l’Église. Des autres conseillers presbytéraux je ne parlerai pas, mais en tant que pasteur, oui. Et l’image du pasteur, du berger, serait encore plus frappante, et Jésus d’ailleurs l’utilise aussi, pour marquer la différence entre « le vrai pasteur » – « le bon berger », comme on dit d’habitude – et les bergers salariés qui s’enfuient quand il leur semble que leur vie est en danger, se faisant ainsi passer eux-mêmes avant le troupeau dont ils ont la garde. Ressemblerai-je au « bon berger », ou bien à ces gens seulement et humainement intéressés ?

 

La parabole de ce matin est plus féroce. Mais c’est une parabole. Ne prenez pas les images au pied de la lettre. L’image a une cohérence ; mais elle fait réfléchir, elle ne décrit pas le réel futur, elle montre par une image, une histoire, la réalité de notre présent, et la réalité d’une parole qui interpelle notre présent. Or dans mon présent je suis pasteur, chargé de vous nourrir, vous et quelques autres qui ne viennent pas spontanément au culte à Senones… Je suis chargé de vous donner de la part du Maître ce dont vous avez besoin pour travailler pour lui. Par exemple, je ne suis pas chargé de dormir parmi vous, ni de vous laisser dormir quand c’est l’heure de manger ! Dans la parabole, je ne suis même pas chargé de vous faire travailler ! Seulement de vous nourrir. Et j’essaye de le faire, et je sais que le Maître m’en a donné les moyens. J’attends sa venue, et je sais qu’alors ce travail cessera parce qu’il sera devenu inutile, et j’ignore absolument ce qui se passera ensuite, sauf que ce sera super, mais pas forcément plus reposant. J’aspire profondément à cette venue dont il ne m’a pas été donné de connaître la date ni le mode, pas plus qu’à qui que ce soit, si j’en crois les paroles de Jésus à ce propos.

 

Oui, mais voilà… Ça fait 2.000 ans que j’attends. Enfin… que nous attendons ! « Mon maître tarde à venir… » Et quand je regarde l’histoire de l’Église chrétienne, je vois bien que ce que la parabole suggère s’est effectivement passé dans la réalité des gens. Des intendants sont devenus infidèles, simoniaques, vénaux, brutaux, ou tout simplement flemmards, simples administrateurs d’une institution humaine souvent généreuse, mais sans vision au-delà d’elle-même. Bref, l’Église, quelle que soit sa confession, a souvent oublié sa mission, oublié l’annonce qu’elle avait à faire au monde, oublié que son Seigneur n’était pas pour elle, mais « pour beaucoup » (Marc 10 / 15 ; 14 / 24). Elle s’est prise pour le Royaume, quand c’est le monde qui lui avait déteint dessus. Les protestants n’ont pas été meilleurs que les autres, alors-même que la Réforme s’était faite à cause de ça… Et le présent n’est pas toujours meilleur que le passé, quand même nous considérons toujours que nous ne referons pas les erreurs de nos Pères : naïveté adolescente… !

 

Il est toujours facile, même si pas toujours agréable, de battre sa coulpe sur la poitrine des autres, surtout s’ils ne sont plus là pour se défendre. Notre société est très habile à ce jeu de soi-disant repentance. Mais ça ne règle pas la question de moi, et accessoirement de vous… « Mon maître tarde à venir », c’est bien ce que nous nous disons, et parfois même nous avons oublié que nous l’attendions, nous nous sommes organisés autrement. Que faisons-nous alors, à part attendre notre propre mort, et la disparition de notre paroisse après nous ? Je vais dire que notre attitude est mitigée. Jusqu’à maintenant, quant à moi, je me suis abstenu de vous battre et de dévorer vos biens – reproche que Jésus adressait aux scribes, rappelez-vous : « Ils désirent se promener en robes longues ; ils aiment les salutations sur les places publiques, les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les repas. Ils dévorent les maisons des veuves, ils font pour l’apparence de longues prières. Ils subiront une condamnation particulièrement sévère. » (Luc 20 / 46-47)

 

Pourtant, toute l’énergie de la paroisse, toute votre énergie, se déploie pour réaliser un budget dont le premier but consiste à former, entretenir et assurer une vieillesse tranquille… aux pasteurs ! Et si vous n’y êtes pas nombreux, vous y êtes vaillants, et quant à moi je vous en remercie, pour moi et pour mes collègues passés, présents et à venir. Mais la parabole nous renvoie une autre image : les pasteurs sont-ils là simplement pour être entretenus ? les chrétiens sont-ils là seulement pour « avoir un pasteur » ? Le maître, dans la parabole, a souci de vous autres, et de la manière dont mon ministère s’exerce à votre égard. Et cette manière est conditionnée par le sérieux de mon attente de son retour, et par notre prise en compte à vous et moi de la mission qui est la vôtre. Je ne serais pas au courant de l’Évangile, me contentant alors d’un ministère institutionnel et tranquille, d’une aumônerie en fait, en pensant que c’est ce qui est attendu de moi, alors dans ma naïve incompétence je ne risquerais pas grand-chose, me dit la parabole.

 

Mais voilà : je sais. Je ne sais ni quand ni comment, mais je sais que le Seigneur va venir juger et sauver le monde, ou plutôt manifester son salut au monde entier, ce salut accompli sur la croix, et enfin Dieu sera reconnu, confessé, adoré, comme Père, et tous vivront de son amour à la suite de Jésus-Christ. Je le sais. Je ne puis faire comme si ça ne devait jamais arriver, comme si ça n’avait pas d’importance, comme si ce n’était pas la seule chose importante ! Or c’est à vous de l’annoncer aux gens, et c’est à moi de vous en donner les moyens, de vous y exhorter, de vous y accompagner, de « [vous] donner [votre] ration de blé au moment convenable ». Est-ce que ça marche ou pas, la question du jour n’est pas là ! Lorsqu’il pleut, que vous sortiez ou pas ne me concerne que parce que je vous fournis le parapluie ! À vous de savoir si vous y allez ou non… Peut-être le maître vous en demandera-t-il compte… ? À moi il me demandera ce que j’ai fait des parapluies, si je vous les ai donnés par temps de pluie, ou si je me les suis transformés en parasols pour ma petite plage au soleil à moi.

 

Car le temps est à la pluie. L’annonce du retour et de la seigneurie de Jésus-Christ ne fait pas recette, et nous nous fatiguons, et nous nous lassons, et nous ne voulons plus profiter de cet Évangile que pour nous. Évidemment nous n’en sommes pas heureux, puisque ça ne marche pas : une « bonne annonce » est faite pour être annoncée, sinon ce n’est plus une annonce, et donc alors elle n’est plus bonne non plus ! La conclusion de la parabole est alors pour vous autant que pour moi, mais ce n’est pas à moi qu’il faut en rendre compte, c’est au Seigneur Jésus, à lui seul. « On demandera beaucoup à qui l’on a beaucoup donné et on exigera davantage de celui à qui l’on a beaucoup confié. » Qu’est-ce que j’ai fait de ce que le Seigneur m’a confié pour une certaine mission ? Votre mission n’est pas la mienne, mais la question est la même… Oui, j’ai beaucoup reçu – y compris des « échardes dans la chair » (2 Cor. 12 / 7). Et vous aussi, chacun, pas forcément par mon ministère, mais par beaucoup d’autres.

 

Le Seigneur n’est pas encore revenu : dans ce sens, la parabole est une exhortation prophétique, pas une condamnation. Mais qui sait s’il ne reviendra pas cet après-midi ou cette nuit ou demain matin ? Pouvez-vous dire que vous êtes sûrs que non ? Il ne faut donc pas nous assoupir, ni autre chose de pire, comme ce que la parabole nous montre. Comme l’écrivait Paul, « ne dormons donc pas comme les autres, mais veillons et soyons sobres. » (1 Thess. 5 / 6) Chacun de nous a une mission, et les raisons d’âge, de compétence, de statut, de fatigue, etc., ne pèsent d’aucun poids devant Dieu. Nous n’avons pas tous la même mission, mais tous nous en avons une. Ne vous inquiétez pas de l’intendance, mais fortifiez-vous chacun pour votre propre mission, votre propre témoignage, votre propre louange… Ne vous inquiétez pas même des autres, mais de vous, et s’il vous manque quelque chose, réclamez-le à l’intendant, et s’il est incompétent adressez-vous à son patron qui est aussi le vôtre ! Il veille sur vous, même à distance. Il s’apprête à venir : réjouissez-vous, préparez-vous, annoncez-le. Ne faites pas comme si vous ne le saviez pas, apprenez à vous détacher des choses de ce monde, car elles passent. « Tournez les yeux vers le Seigneur ! » « Il vient. » (Apoc. 1 / 7) Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  26 novembre 2017

 

 

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