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Évangile selon Marc 14 / 17-26
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texte : Évangile selon Marc, 14 / 17-26 (trad. d’après A. Chouraqui)
premières lectures : Exode, 12 / 1-14 ; Évangile selon Jean, 13 / 1-15
chants : 24-14 et 24-03 (Alléluia)
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« Pas moi ? » Cette traduction a le double mérite d’une part d’être fidèle au texte grec original, d’autre part de nous renvoyer en pleine figure à la fois notre hypocrisie et notre inquiétude. La traduction plus classique « Est-ce moi ? » ne comportait aucun de ces deux avantages… Elle semblait simplement poser une question, demander un renseignement : « Sera-ce moi qui te trahirai ? »… La traduction de Chouraqui est plus proche de nous. « Pas moi ? », c’est à la fois un cri du cœur et une question angoissée. Or la célébration de la cène est indissociable de l’annonce de la trahison de celui qui « plonge avec [Jésus] dans le plat », comme dit le texte. Si aujourd’hui, anniversaire de ce repas, nous y sommes particulièrement attentifs, il serait bon de nous en souvenir à chaque fois que nous prenons ce repas, que nous « plongeons dans » le plat commun avec Jésus.
« Plonger dans », ça se dit « εμβαπτειν ». Si vous écoutez bien, même sans connaître le grec, c’est la même racine que « baptiser ». Cela réfère donc aussi à la mort de Jésus, comme lorsqu’à la question de la prééminence des fils de Zébédée, Jésus leur répondit en parlant d’être « baptisés du baptême dont je vais être baptisé » (Marc 10 / 38-39). Il y a ainsi une forte cohérence dans notre texte, et dans ce que Jésus dit à propos de la cène : elle annonce sa mort, une mort causée par une trahison, une mort dans laquelle tous ceux qui partagent le repas sont pourtant solidaires. Car de même que tous plongent dans le plat, ne serait-ce qu’avec les doigts, de même tous sont faits participants de cette mort, dans laquelle celui « par qui le Fils de l’homme est livré » va couler, tandis que les autres vont recevoir la vie par la nouvelle alliance ainsi scellée. La cène ne dit pas autre chose que le baptême…
La question que posent « un par un » les disciples présents révèle d’autant plus leur crainte : « Pas moi ? »… Peur d’être un traître sans même le savoir encore ? Ou bien peur de mourir à jamais, en présence de celui qui est « la résurrection et la vie », comme il le disait lui-même à Marthe dans un autre récit (Jean 11 / 25) ? « Plonger dans » ce repas est ainsi dangereux, ce n’est pas anodin. Car il n’y a pas que de l’agneau et des herbes amères, du pain et du vin. Mais il y a aussi Jésus-Christ ! Ce repas annonce une mort, et c’est la mienne avec Jésus. Et ce repas annonce une traversée de la mort, un « passage », dans lequel le « fléau destructeur » va passer par-dessus ceux qui mangent la Pâque, au lieu de les atteindre comme les autres. Dans ce repas, la Dixième plaie d’Égypte va faire mourir en moi ce qui n’est pas à Dieu, ce qui appartient aux dieux de l’Égypte, au péché, à une vie autocentrée révélée ainsi être sans avenir. Le Premier-né lui-même ne sera pas épargné, comment moi le serais-je !? Mais dans ce repas, ma vie mortelle, si elle est unie à Christ, va revêtir la vie éternelle.
Suis-je alors autocentré ou bien christocentré ? Suis-je préoccupé de moi-même, de gagner ma vie, d’obtenir le salut ? Ou bien, certain de l’alliance scellée par la mort de Jésus – même sans la comprendre –, je suis préoccupé des autres, de grandir avec eux dans la foi, de témoigner à tous du salut en Jésus-Christ ? Pour reprendre le texte de saint Jean, suis-je préoccupé de me faire laver les pieds par Jésus, ou bien, me sachant purifié par son sang, le suis-je d’aller laver les pieds des autres, frères et sœurs dans la foi, et par-delà, frères et sœurs en humanité ? Suis-je encore retenu par ma culpabilité, tel Judas, voué ainsi à la mort, ou bien en suis-je libéré par le Christ, voué à la vie éternelle avec lui ? Posant la question « Pas moi ? », ai-je peur de la mort – elle est inévitable, mais elle est vaincue… – ou bien ai-je peur de la mort éternelle, d’en rester prisonnier et de contempler à jamais l’inanité de ma petite existence ? En Christ, cette deuxième peur n’a pas, n’a plus lieu d’être !
Partageant pain et vin offerts par Jésus, c’est sa mort et sa vie que je partage. « Plongeant avec [lui] », je sais que c’est lui qui me retirera de la noyade, que c’est lui qui me fait traverser « la vallée de l’ombre de la mort » (Ps. 23 / 4). Peut-être ai-je été tel Judas, peut-être ai-je souvent l’envie mortifère de demander « Pas moi ? »… Mais non. Pas moi. Quel que soit mon péché, il n’a pas, il n’a plus la liberté de « livrer le Fils de l’homme ». Mais moi, j’ai la possibilité d’être délivré par lui de ce péché qui empoisonne ma vie et celle des autres. Participant au repas que Jésus préside, je renonce à écouter la voix de l’Accusateur. Je veux seulement entendre ces paroles que l’Église a gardées depuis toujours, les paroles de l’Époux célébrant ses noces avec elle, avec nous : « ceci est mon corps », « ceci est mon sang de l’alliance ».
Ce n’est pas tant à sa table que nous invite le Seigneur, qu’à partager sa propre vie, par-delà sa mort, et par-delà notre péché et notre mort. Et si nous posons encore la question, ce ne sera plus par rapport à l’annonce de la trahison, mais par rapport à l’invitation de Jésus, par rapport à l’espérance joyeuse de la résurrection. « Pas moi ? » Oui, moi, à cause de Jésus, dès maintenant et « jusqu’à ce jour-là où je boirai un [vin] nouveau dans le royaume de Dieu » avec et par Jésus, et avec vous, mes frères et sœurs, pécheurs comme moi, vivants comme moi en Jésus-Christ par son corps et par son sang « versé pour beaucoup ». Ne négligez pas ce repas ni ne vous en extrayez : c’est là que Christ nous attend pour nous donner la vie. Amen.
Raon-l’Étape (Jeudi saint) – David Mitrani – 13 avril 2017