Évangile selon Marc 1 / 21-28

 

texte :  Évangile selon Marc, 1 / 21-28   (Trad. officielle de la liturgie)

premières lectures :  Deutéronome, 18 / 15-20 ; Psaume 95 ; première épître aux Corinthiens, 7 / 32-35

téléchargez le fichier PDF ici

 

« Il y avait à la surface du désert quelque chose de menu, de granuleux, quelque chose de menu comme le givre sur la terre. Ce que voyant, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : “Qu’est-ce que c’est ?” car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : “C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger.” » (Ex. 16 / 15) Le même « Qu’est-ce que c’est ? », avec exactement les mêmes mots, retentit dans notre Évangile de ce matin. Ce sont encore les mêmes gens, les Israélites, à peut-être quinze siècles de distance, les mêmes qui se posent la même question, cette fois-ci à propos de Jésus. Celui-ci serait-il donc « le pain que le Seigneur vous donne à manger », la nouvelle manne pour aujourd’hui ? Jésus lui-même le confirmera dans un autre passage : « Amen, amen, je vous dis que celui qui croit a la vie éternelle. Moi, je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé dans le désert la manne, et ils sont morts. C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure pas. Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que moi, je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » (Jean 6 / 47-51)

 

Mais les auditeurs de Jésus n’en sont pas encore là – et d’ailleurs, à ce moment-là, la plupart s’en ira, abandonnant Jésus… Dans notre texte, les gens en sont encore à se demander qui il est. Pourquoi ? Parce qu’il « enseigne avec autorité, et pas comme les scribes ». Ça ne veut pas dire qu’il sait parler, alors que les scribes, non… Ce n’est pas du tout ça. Parler avec autorité, ce n’est pas être un beau parleur, ni un rhéteur habile. Certains scribes devaient l’être, eux. Leur métier ? Enseigner la Bible et les traditions des anciens. Savoir convaincre les gens d’observer les commandements de Dieu. Et sans doute les observaient-ils eux-mêmes, malgré le reproche que leur adresse parfois Jésus (Matth. 23 / 3). Rappelez-vous le « jeune homme riche »… (Marc 10 / 20) Parler avec autorité n’est donc pas faire soi-même ce qu’on demande aux autres, « faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait ». Ceci n’est pas de l’autorité, mais de la simple cohérence et de la transparence, c’est le minimum de l’honnêteté lorsqu’on prétend donner un enseignement ou diriger ses semblables.

 

Mais avec Jésus il y a plus, il y a autre chose : l’autorité. Ses actes signent ce qu’il est, contresignent ce qu’il enseigne. Or qu’enseignait-il ce jour-là ? On n’en sait rien ! Étrange, n’est-ce pas ? Il ne nous est transmis que la guérison de ce paroissien qui était « dans un esprit impur », nous dit l’évangéliste. Comme si c’était cette guérison qui était la prédication ! En fait, l’homme réagit à la prédication, c’est lui qui interpelle Jésus, sans se retenir. Il y a une urgence dans ce récit, comme dans le passage précédent qui parlait de l’appel des disciples, le mot « aussitôt » ou « vite » est souvent répété, même si nos traductions en bon français ne le rendent pas toujours. Ce mot est là lorsqu’apparaît la personne dont l’esprit est impur. Je ne sais pas si nous le réalisons toujours : c’est que lorsqu’on n’est pas bien, à plus forte raison si c’est profondément, il y a toujours urgence : urgence à vouloir guérir, mais aussi urgence à fuir la guérison de peur de devoir changer. Aimez-vous changer ? Moi pas. L’esprit impur se trouve bien là où il est, il est donc urgent d’éloigner Jésus… Cet homme n’entend pas « manger de ce pain-là » !

 

« Qu’y a-t-il entre nous et toi, Jésus ? » Oh, surtout qu’il n’y ait rien ! Surtout ne me fais rien ! Surtout « éloigne-toi de moi, qui suis un homme pécheur… » (Luc 5 / 8) afin que je puisse le rester ! Le cri du cœur de beaucoup de gens, qui ne veulent rien savoir de Jésus parce qu’ils en savent trop déjà, ils pressentent combien la proximité de Jésus est dérangeante, dangereuse : avec lui, je ne suis plus maître à bord ; alors : non ! La frénésie actuelle, dans la vie politique parfois, dans la pratique administrative souvent, et jusque dans le règlement de l’Assemblée nationale, à vouloir cacher la moindre référence à Jésus dans notre pays, n’est-elle pas après tout de cet ordre ? « Qu’y a-t-il entre nous et toi, Jésus Nazarénien ? Tu es venu nous perdre ! » Mais je n’accuse pas les politiques ni les fonctionnaires : ils sont comme moi ; nous craignons qu’il puisse se passer quelque chose entre Jésus et nous, nous craignons qu’il nous libère des cadres et des prisons que nous aimons bien, où nous sommes au chaud.

 

Alors, tant que la prédication ne me dérange pas, tant que tout ronronne et moi aussi, ça va… Ceux qui attendaient autre chose sont partis déçus. Mais voici quelqu’un, quelqu’un que je connais et qui me connaît, et je sais que ça va mal se passer… enfin, je veux dire : qu’il va se passer quelque chose, quelque chose dont je ne veux pas. Tant que les biblistes me racontent ce qui s’est passé il y a longtemps, c’est bien. Mais lui, il ne va rien me raconter, il va faire, il va me faire quelque chose. Les biblistes répètent les enseignements qu’ils ont reçus. Lui, il est lui-même un enseignement nouveau, inédit, inouï. Il enseigne sa personne, et pas avec des mots, mais avec des actes. Et moi, je sens que je vais être visé par ses actes à lui, il va s’intéresser à moi, il n’aurait pas dû venir, je n’aurais pas dû venir. Aïe !

 

L’évangéliste ne nous dit rien sur la personne qui a été libérée de son esprit impur. Contente, pas contente ? Parce que cette personne n’est pas à Capharnaüm, mais elle est ici, dans cette église, c’est peut-être vous, ou moi, et peut-être cette personne craint-elle que Jésus intervienne, ou peut-être a-t-elle déjà été chamboulée par lui… Je n’en sais rien, je ne suis pas prophète, peut-être ne suis-je qu’un scribe… Mais vous, vous savez. Vous savez pour vous-mêmes…Craignez-vous que Jésus intervienne et mette en l’air ce que dans votre impureté vous avez construit en vous et autour de vous ? Ou bien êtes-vous venu pour lui rendre grâces de vous en avoir déjà fait sortir ? Dans le texte, tous les autres paroissiens sont saisis d’effroi : crainte révérencieuse, peut-être pas seulement. Et si Jésus s’avisait de nous le faire à nous, ce qu’il vient de lui faire à lui ? Chers amis, puisse cette histoire vous convaincre d’agir à l’inverse, et de dire : « Viens, Jésus, oh ! viens, Emmanuel ! » …

 

Car nous avons besoin de cette venue, de cette proximité de Jésus. Son salut, le pardon de Dieu, ne sont pas des doctrines de scribes, de théologiens, mais des actes dont Jésus est à la fois le moteur, l’acteur, le lieu. Sa personne, son propre corps, voilà ce qui fait peur à ceux qui vivent tranquillement dans leur prison d’esprits impurs, et qui ne veulent pas entendre parler de purification. Un peu comme les gens qui vont se faire prescrire des tonnes de médicaments par leur médecin, qui les achètent puisque c’et la Sécu qui paie, mais qui ensuite ne les prennent pas. J’ai une Bible chez moi. Oui, au grenier, je ne sais plus où exactement, mais elle me vient de mes grands-parents… Ça leur fait une belle jambe, aux grands-parents qui, eux, la lisaient peut-être tous les jours… Bon, moi je la lis de temps en temps, mais est-ce que j’ai vraiment envie que ce qui est raconté s’applique à moi, à moi aussi, à moi aujourd’hui ? Est-ce que je suis venu entendre un enseignement donné avec autorité par Jésus, un enseignement qui change la vie ? Ou bien pas… ?

 

Bien sûr, on pourrait se défausser sur les autres, ou même sur les institutions. Nous sommes à l’époque de l’année où l’on prie pour l’Unité des chrétiens – d’ailleurs c’est pour ça que votre serviteur est là ce matin ! Alors ça doit vouloir dire que les Églises doivent se laisser changer par Jésus : eh bien qu’elles le fassent… Après tout, nous n’y pouvons rien, nous ; ça les regarde, elles et leurs ministres : que le curé et le pasteur fassent ça ! Voyez-vous, je n’y pensais même pas en commençant cette prédication. Mais pourquoi pas ? Parce que prier le Père pour que se manifeste l’unité du corps du Christ, c’est lui demander qu’il vienne nous changer. Pas changer les structures, mais les gens. Nous changer, vous et moi, chacun. Ce n’est donc qu’un cas particulier de ce que je vous disais précédemment. Prier Jésus, c’est s’exposer à la possibilité qu’il répondre, qu’il vienne, près de moi, trop près, et que je n’en ressorte pas indemne ! Prier, c’est reconnaître l’autorité de Jésus, c’est accepter de nous y soumettre. Parce que lorsque nous prions, ce n’est pas Dieu qui doit changer et faire ce que nous lui demandons, c’est nous qui allons changer et nous mettre à faire ce qu’il nous dit, ce qu’il veut de bon pour nous. Lorsqu’il priait pour notre unité, l’abbé Paul Couturier disait à Dieu : « l’unité telle que tu la veux, par les moyens que tu veux ». Et Jésus lui-même : « non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14 / 36).

 

Au désert, les Hébreux réclamaient la viande et l’esclavage, il leur a été donné la manne et la liberté. Ils n’en ont pas été contents, la manne a moins bon goût que la viande rôtie, mais il a bien fallu faire avec. Chacun sait pour lui-même ce que réclame l’esprit impur ; Dieu n’y accédera pas. Il nous a donné à nous aussi la manne et la liberté, c’est-à-dire le corps du Christ et le Saint-Esprit. Nous avons la nourriture et le guide pour le voyage, même si catholiques et protestants n’appellent pas les choses de la même façon : qu’importe ! Le Christ « enseigne avec autorité », c’est-à-dire qu’il se donne lui-même en nourriture pour notre vie, notre vie éternelle, dès maintenant. Il est le « pain de vie », la nourriture qui rend allergique les esprits impurs, qui les fait partir en courant, en criant même ! Il est donc la nourriture dont nous avons besoin, alors-même que nous n’y songeons pas, ou que nous l’envisageons seulement après toutes les autres. Le Jour de l’An n’est pas si loin où nous nous souhaitons d’abord la santé, et puis la prospérité, et tout le reste ensuite. Mais non : souhaitons-nous donc Jésus, souhaitons-nous de manger la manne véritable et non pas des nourritures de mort ! Les païens et les athées continueront peut-être à se demander « Qu’est-ce que c’est ? », mais nous, nous savons et nous proclamons que cet homme, capable de nous changer et de nous purifier, c’est « Jésus, le Christ, le Fils de Dieu » (Marc 1 / 1), et que « [nous avons] la vie en son nom » (Jean 20 / 31). Amen.

 

Saint-Dié (église Saint-Martin et cathédrale : Unité des chrétiens)  –  David Mitrani  –  28 janvier 2018

 

 

Contact