Évangile selon Matthieu 22 / 1-14

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 22 / 1-14   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Ésaïe, 55 / 1-5 ;  épître aux Éphésiens, 2 / 13-22

chants :  415 et 420  (Arc-en-ciel)

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Bonne nouvelle : Dieu invite ! Texte choc, contre toutes les religions qui arguent d’un salut par les œuvres, d’un devoir religieux à accomplir afin de contenter Dieu, et contre toutes celles – parfois les mêmes – qui prétendent Dieu trop loin pour qu’on le rencontre jamais. Texte choc de la proximité et de l’amitié du Dieu biblique, un Dieu qui invite à sa table ! Mais texte choquant aussi : il y aura, il y a, des exclus. Texte choquant pour l’humanisme, texte choquant pour tous ceux qui veulent un Dieu ouvert et sympathique avec tous, manipulable à volonté, obligé à l’universalisme. Le Dieu qui invite n’est pas à la mode : lorsqu’il invite, c’est qui il veut, et c’est chez lui, à ses conditions à lui ! Et comme nous nous sentons concernés par cette invitation – la preuve, c’est que nous y répondons, ce dont on ne peut pas dire que c’est le cas de tout le monde… – il nous faut donc tenter de comprendre un peu mieux ce qui est, après tout, une parabole et non un enseignement dogmatique de haute volée. Une parabole, une histoire à vivre, une devinette dans laquelle notre place est celle que nous choisissons, elle n’est pas imposée par l’histoire…

 

Mettons que nous soyons le roi qui invite, premier personnage dans l’ordre d’apparition sur scène. C’est, finalement, la place la plus facile, la moins dérangeante pour nous. Quoique. J’invite à une fête de famille les gens dont j’estime qu’ils en sont dignes, parce qu’ils sont mes parents, ou mes amis, ou des relations qui sont mes obligées. Bref, des gens pour qui il ne serait pas convenable de refuser, sauf à avoir de très bonnes raisons. Or ça ne marche pas. Dans le texte parallèle chez Luc (14 / 16-24), les invités ont de bonnes raisons, reconnues par la loi religieuse – ce qui, au fond, ne change rien. Mais dans notre texte, point de raisons valables. Juste « ils ne voulurent pas venir », et malgré la réitération de l’invitation et son urgence, ils vaquent à leurs petites affaires, ou même ils tuent les envoyés pour se débarrasser du problème ! Le roi semble bien dépité : du coup, il invite le commun des mortels, tous ceux qui traînent, et là, ça marche ! La salle est pleine, mais un des convives ne semble pas à sa place : il se fait jeter violemment dehors.

 

Quant à moi, oserais-je pratiquer ainsi ? Oserais-je me fâcher après mes invités et les rejeter définitivement, en tout cas hors de mon existence ? Oserais-je rompre souverainement avec tous ceux avec qui je suis lié, pour inviter à leur place des foules que je ne connais pas ? L’expérience prouve qui ni vous ni moi n’osons pratiquer ainsi, et inviter aux « noces du Fils » ceux que nous ne connaissons pas, qui ne sont pas nos proches ni nos obligés, qui n’appartiennent pas à notre cercle, mais qui traînent « aux carrefours », précisément là où moi, je ne suis pas. Mais par contre, si jamais nous le faisons, et que celui qui entre ne se comporte pas comme nous pensons qu’il le devrait, nous n’avons pas trop de scrupules à le mettre à la porte… Nous ressemblons à ce roi en ceci que nous voulons rester maîtres chez nous, dans notre Église, dans notre vie, dans nos relations. Mais nous ne lui ressemblons guère quant à l’ouverture dont il fait preuve au moment où le repas est prêt et doit être consommé. C’est peut-être que notre repas à nous n’est pas prêt ? À méditer…

 

Le second rôle disponible dans cette parabole est celui des serviteurs. A priori ce rôle devrait mieux nous convenir, mais il est plus difficile. Le roi n’est pas au contact des gens qui sont dehors, c’est normal, c’est le roi. Mais nous, les serviteurs, c’est nous qu’il envoie porter une invitation qui n’est pas la nôtre, mais la sienne. Si les invités nous répondent qu’ils n’ont rien à faire de l’invitation, s’ils nous claquent la porte au nez, voire s’ils nous maltraitent, nous n’avons rien à dire, sinon répéter que le roi les invite et qu’il s’attend à ce qu’ils viennent. Oui, rôle difficile : ce n’est pas nous qui décidons de l’invitation, ni de qui inviter, ce n’est pas à nous de décider comment réagir face aux refus, etc. Lorsque le roi commande, il nous faut y aller, que ce soit vers les vrais invités les premières fois, ou que ce soit vers le « tout-venant » de gens qui ne sont pas mieux que nous. Et lorsque les gens sont là, dans « la salle des noces », notre rôle est terminé et on ne parle plus de nous, sinon pour un rôle encore plus ingrat : mettre dehors l’un de ceux que nous avions fait venir, peut-être avec difficulté. Nous ne sommes, dans cette histoire, que des outils du roi.

 

Troisième rôle dans l’ordre d’apparition : les invités qui refusent l’invitation. Dans la parabole, il n’y en a d’ailleurs pas qui acceptent. C’est sans doute que le rôle « invités qui acceptent » n’est pas disponible pour lire la parabole. Si nous voulons nous identifier à eux, nous ne trouvons pas notre place, car la plupart d’entre nous fait partie des invités qui ont accepté de venir à l’invitation qui leur a été adressée : mais cette catégorie n’est pas prévue ici… Nous ne pouvons donc pas nous tranquilliser avec l’idée que nous sommes du bon côté, ce côté n’existe pas dans cette parabole-ci ! Soit nous fermons le livre, soit il va falloir s’atteler à nous trouver une autre place. À moins que, malgré les apparences, nous refusions souvent l’invitation royale ? Ferions-nous semblant d’être là, tout en restant ailleurs ? Nous trouvons-nous facilement d’autres choses à faire plutôt que de répondre au roi ? Ce rôle devient bien dérangeant, au fur et à mesure que j’essaye d’y réfléchir, de m’y imaginer : c’est mon péché qui refait surface, mon hypocrisie, mes priorités qui ne sont pas celles de Dieu et que je lui oppose sans véritable problème de conscience, comme s’il n’était pas important, presque comme s’il n’existait pas…  Mais il est le roi, il « ne tiendra pas pour innocent celui qui prendra son nom en vain » (Exode 20 / 7).

 

Dernier rôle proposé par la parabole à notre identification : « tous ceux que vous trouverez », comme le roi le disait à ses serviteurs. Est-ce que je corresponds mieux à ce rôle qu’au précèdent ? C’est le plus facile : se laisser inviter quand on n’y a pas droit, qu’on soit bon ou méchant, et profiter du « festin préparé, des bœufs et des bêtes grasses »… Mais ce rôle implique une grande humilité, une reconnaissance de mon indignité. Certes pas de manière culpabilisante, comme dans le précédent rôle. Au contraire : de manière reconnaissante. Ce n’est plus « je suis invité, mais je m’en fiche », « j’y ai droit, donc je fais ce que je veux ». C’est au contraire « je n’y ai pas droit, mais on m’invite quand même, alors j’y vais ». Dans le cas précédent, ma liberté aurait été une liberté de choix – dont la parabole montre qu’elle serait illusoire. Dans ce cas-ci, ma liberté consiste à aller au festin qui n’était pas pour moi. J’y vais, j’y cours, avec joie. Il ne faut pas s’étonner que les serviteurs aient pu faire venir des gens qui n’étaient pas prévus ! Ont-ils essuyé des refus ? C’est vraisemblable, mais la parabole n’en parle pas, ce n’est donc pas le sujet de ce jour. Moi, j’ai été invité alors que je n’en étais pas digne, et voici, je suis venu, et je ne regrette pas !

 

Il y a une variante à ce quatrième rôle, c’est celui qui est venu mais « qui n’avait pas revêtu un habit de noces ». S’il y a un seul passage qui nous choque dans cette parabole, c’est sans doute celui-ci : le rejet de celui qui ne s’est pas habillé pour… Peut-être était-il trop pauvre ? C’est ce qui nous vient spontanément à l’esprit, comme explication. Mais ça ne le fait pas, et Ésaïe prophétisait que ce serait « sans argent, sans rien payer ». Les serviteurs ont ramassé les gens dans la rue. Rappelez-vous, il y avait urgence. Les gens qui sont venus ne sont donc pas rentrés chez eux pour se changer. S’ils ont revêtu les habits de noce, c’est alors qu’on les leur a fournis à l’entrée. « Je te conseille d’acheter chez moi […] des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu et que la honte de ta nudité ne paraisse pas », dit Jésus aux chrétiens de Laodicée dans la lettre qu’il dicte à Jean dans son Apocalypse (3 / 18).

 

Si je n’ai pas d’habit de noces, ce n’est pas que je n’en ai pas les moyens, c’est que je ne les ai pas saisis lorsqu’ils m’ont été offerts. « Or c’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi » … (Éph. 2 / 8) Puis-je me dire chrétien sans croire, sans faire confiance que ce salut m’est offert en Jésus-Christ, non par mes œuvres ni par ma conviction, mais par sa mort et sa résurrection ? Puis-je être chrétien par choix éthique ou philosophique, sans relation personnelle avec celui qui se présente à moi comme mon Seigneur et Sauveur ? Que certains des invités qui ne viennent pas fassent ainsi, ça se conçoit, malheureusement. Mais qu’un invité vienne et refuse la relation avec celui qui l’a invité gratuitement, c’est tellement bizarre. « Cet homme resta la bouche fermée », raconte Jésus dans sa parabole. Tout est dit ici : il refuse de parler, il refuse la parole, il vient au festin pour refuser de manger. C’est stupide…

 

Or nous ne sommes pas appelés à être stupides, mais à partager un festin de noces ! Il faut nous revêtir de l’Évangile de Jésus-Christ, il faut laisser le Saint-Esprit habiter en nous et nous changer de l’intérieur. Ce n’est pas une condition, ça fait partie du festin, ça fait partie du cadeau. L’homme de la fin de la parabole s’est trompé, venant vers Dieu en ne voulant pas de lui ; il retourne donc là d’où il avait été tiré, dans le néant d’une vie sans Dieu, sauf qu’il l’a connu et refusé, situation pire que l’ignorance. Aucun des convives, aucun des serviteurs, ne lui reproche quoi que ce soit, c’est le roi qui s’en charge lui-même. Peut-être l’habit de noces n’est-il visible que par le roi ? … Mais lui voit si nous l’avons revêtu ou non. Il entend si l’Esprit en nous lui répond ou bien si nous sonnons creux… ce dont nos œuvres peuvent aussi attester, encore que de manière ambiguë. Mais si rien en nous ne change, avons-nous vraiment fait confiance au Dieu qui a donné sa vie pour nous ?

 

Frères et sœurs, je ne sais pas quel rôle de la parabole vous parle le plus par rapport à ce que vous vivez aujourd’hui. Retenez en tout cas que ce n’est pas un discours sur le Jugement dernier, mais une photo qui vous est proposée pour chaque jour, et qui chaque jour peut être différente. Prenez seulement garde que votre propre regard vous condamne : la photo est magique, elle montre ce que vous voulez y voir, ou ce que vous craignez d’y voir. Choisissez la bonne place, le rôle qui vous convient, qui est le vôtre, sans vous préoccuper de votre voisin. Faites confiance à l’invitation, et à celui qui vous invite, revêtez l’habit des noces et participez ensemble au festin. Ou bien si vous êtes parmi les serviteurs, faites votre travail. Dans tous les cas, rappelez-vous que Dieu est Dieu, et qu’ « il fait tout ce qu’il veut » (Ps. 115 / 3). Laissez-le faire, laissez-vous faire. C’est lui qui invite. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  25 juin 2017

 

 

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