Évangile selon Matthieu 21 / 14-17

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 21 / 14-17   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Ésaïe, 12 / 1-6 ;  épître aux Colossiens, 3 / 12-17

chants :  92 A et 255  (Arc-en-ciel)

téléchargez le fichier PDF ici

 

Que sont donc les « merveilles de Dieu » que chantaient les psaumes et le prophète, et dont l’évangéliste nous parle ce matin ? Certains répondront facilement qu’il s’agit de la création, de la nature, de ce monde si parfaitement réglé qu’il a nécessairement fallu un « grand horloger » pour le fabriquer et sans doute pour le maintenir. L’apôtre Paul lui-même, au début de son épître aux Romains, semble le penser : « En effet, les attributs invisibles de Dieu : sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. » Mais aussitôt après il considère que les humains « sont donc inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais [qu’]ils se sont égarés dans de vains raisonnements, et [que] leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. » (Rom. 1 / 20-21) Que tous ceux qui, ainsi, admirent Dieu dans ses œuvres sachent bien que personne d’autre qu’eux ne le fait, ou alors seulement de manière idolâtre, divinisant la nature comme dans beaucoup de films pour les jeunes, dont ceux de Walt Disney, qui sont franchement animistes, révérant les œuvres plutôt que celui qui les a faites.

 

Par ailleurs, dans la même lettre, l’apôtre reconnaît « que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. » (Rom. 8 / 22) Ce qui se manifeste sans doute par toutes les catastrophes qui viennent spontanément à l’esprit ou à la mémoire, et parfois de manière très douloureuse personnellement, et qui empêchent la plupart des gens de reconnaître la création pour ce qu’elle est : catastrophes naturelles, mais aussi psychologiques, voire sociales, guerres et injustices, crimes et addictions, etc. Vous me direz : c’est la faute des humains. En grande partie, certes. Mais les humains n’ont-ils pas été créés par Dieu ? Ne font-ils pas partie de la création ? Oui, c’est bien toute la création, humains compris, ainsi que vous et moi, qui sommes devenus opaques à notre créateur : regardant l’univers ou la planète, la nature ou l’humanité, il n’est plus possible d’y reconnaître une création divine. Dans la foi, vous pouvez le savoir ; mais ne me dites pas que vous le voyez… Alors, ne reprochons pas aux autres de ne pas non plus le voir !

 

Parlant des « merveilles de Dieu », la Bible ne parle donc pas de l’état ordinaire de la création. L’immensité-même de l’univers, qu’on le contemple ou bien qu’on l’étudie scientifiquement, ne nous renvoie qu’à notre petitesse, à notre banalité, à l’éphémère de notre existence, comme le chantent aussi les psaumes… Le texte de ce matin, parfaitement cohérent avec tous les autres textes qui, dans la Bible, évoquent ces « merveilles », nous éclaire tout à fait : « Des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple. Et il les guérit. » Ce que Jésus a opéré ici, c’est bien plus que des guérisons. C’est une transgression majeure, à double titre. D’abord, il a permis que des gens estropiés s’approchent du Temple au lieu de rester sous les entrées, là où ils mendient ordinairement. Or il était écrit : « L’aveugle et le boiteux n’entreront pas dans la Maison. » (2 Sam. 5 / 8) C’est donc bien une transgression religieuse et sociale, un mépris affiché de l’ordre établi, tout comme de permettre aux enfants d’y crier des acclamations messianiques, politiques, proclamant Jésus « fils de David », c’est-à-dire roi d’Israël. Mais la transgression, y compris donc de l’Écriture, ne s’arrête pas là, même si elle suffira largement à le faire condamner à mort aussi bien par les autorités du Temple que par l’occupant romain.

 

En effet, l’autre aspect de ces guérisons, c’est qu’elles sont miraculeuses ! Le nombre de fois où j’ai entendu des catholiques me dire « Vous les protestants, vous ne croyez pas aux miracles… » ! Ceux d’entre nous qui ont une pensée rationaliste, une théologie libérale, n’y croient sans doute pas, bien sûr. Mais ce qui, à mes yeux caractérise le protestantisme, c’est de faire confiance à la Bible ! Et tout comme la croyance au Dieu créateur n’empêche pas de comprendre avec la science comment l’univers s’est formé et comment il fonctionne, de même la confiance accordée aux récits bibliques n’empêche pas de les lire aussi à d’autres niveaux, psychologique, symbolique, poétique, ou tout ce que vous voulez. Vous savez bien que je le fais aussi. Mais je ne vois pas comment on peut prétendre faire confiance à la Bible et refuser à Dieu la possibilité d’accomplir des gestes qui sont en rupture avec l’ordre de la création… qui est sienne, après tout, et où il fait ce qu’il veut.

 

Mais ne croyez pas que, malgré l’actualité, je veuille vous parler de Fatima ! Cela n’a rien à voir. Que la bienheureuse mère du Sauveur ait pu parler à des enfants il y a un siècle, leur révéler des secrets, et faire danser le soleil sur place, n’a aucun rapport avec l’Évangile de Jésus-Christ. Qu’il me soit permis de le dire crûment : ce sont pour moi des âneries… Qu’une religiosité païenne sous un vernis chrétien y trouve son compte, c’est certain. Qu’une spiritualité aimable y trouve le signe d’autre chose, c’est possible. Mais rien dans la Bible n’étaye de telles manipulations du réel, de telles apparitions sinon suggérées par d’autres esprits que celui du Dieu vivant. Ce que notre texte de ce matin nous montre, ce sont des guérisons scandaleuses, qui, comme tout miracle, au lieu de convertir les adversaires de Jésus, les indignent et les renforcent dans leur opposition.

 

Mais pour nous, si nous nous laissons éclairer par le même Esprit qui a aussi inspiré ces témoignages, alors nous pouvons y contempler ce que Jésus est capable de réaliser, comme une annonce de sa résurrection qui est une prise de pouvoir sur la mort, une prise de pouvoir totale et définitive. Or la mort n’est pas seulement l’arrêt des fonctions vitales du corps que nous sommes. C’est aussi tout ce qui nous détruit au fil de notre existence, et notamment les catastrophes que j’évoquais tout à l’heure, mais aussi les maladies, les amours déçues, le chômage, la solitude, la perte de repères familiaux, économiques, culturels, etc. Chacun de nous sait très bien, ou pressent, ce qui lui fait du mal ou qui peut lui en faire. Seuls les politiques semblent ne pas l’avoir compris, qu’ils soient d’un bord ou d’un autre… Mais ça, c’est une autre question : d’eux nous n’attendons pas de miracle, sauf à se préparer à la pire des dérives sociétales.

 

Les récits de guérisons nous renvoient donc à nos propres maladies, personnelles ou sociales, physiques ou mentales. Et être malade, c’est presque toujours être aussi spirituellement malade, car nous sommes à la fois corps, âme et esprit, et incapables de séparer nos différents niveaux d’existence, sauf à être schizophrènes… Nous croyons donc aux guérisons et autres miracles bibliques, non pas parce que nous sommes crédules ou animés d’une mentalité magique, mais parce que l’Esprit de Dieu nous parle à travers eux, et qu’ils manifestent la divinité de Jésus-Christ, son infinie supériorité par rapport au politique, au religieux, au médical, au naturel, etc. Et sans doute y croyons-nous aussi parce que ça nous fait du bien ! Mais j’y reviendrai dans quelques instants…

 

Ces « merveilles » bibliques, ces actions surnaturelles qui font du bien aux gens, ont me semble-t-il deux effets majeurs. Le premier, c’est de permettre aux croyants de reconnaître les mêmes « merveilles » lorsqu’elles se produisent aujourd’hui. Car elles se produisent aujourd’hui. Il n’y a aucune raison d’en douter, si nous croyons que Dieu est Dieu et que Jésus est vivant. Ce que la Bible nous raconte est là pour nous servir de lunettes pour lire la réalité dans laquelle nous vivons, et reconnaître ainsi que, en l’occurrence, Dieu continue d’agir – et toujours de manière indiscernable sans la foi, ou alors parfaitement choquante pour la raison. Mais si vous croyez que le Christ est ressuscité… – « et si Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine. » (1 Cor. 15 / 14) – si donc vous le croyez ressuscité, les autres miracles ne sont que de toutes petites manipulations de l’ordre naturel ! Les rationalistes croyants y cherchent des explications naturelles cachées : cela n’a pas de sens… Un miracle est un miracle, il désigne Dieu comme étant son auteur.

 

Or ici Jésus-Dieu se manifeste comme transgresseur. Il n’est pas un dieu garant de l’ordre du monde, parce que, rappelez-vous, cet ordre a été abîmé… Il est un dieu transgresseur, transgresseur du désordre du monde, un désordre qui rejette des gens du salut au prétexte de leurs échecs ou de leurs tares, un désordre qui se satisfait que les humains soient autocentrés et donc tournés les uns contre les autres au lieu d’être tournés vers Dieu, un désordre qui tolère d’autant mieux le péché, le mal et la mort qu’il y trouve son sens et son moyen d’existence. Les « merveilles » du Dieu de la Bible ne sont pas des cadeaux, tout juste des clins d’œil parfois. Mais ce sont d’abord des remises en cause d’un monde et d’une humanité qui vivent sous le péché originel et qui marchent à la mort. Ce sont des prophéties de la résurrection du Serviteur souffrant. Les « merveilles » accomplies par Jésus sont des ouvertures de tombeaux.

 

Alors, si vous reconnaissez aujourd’hui, dans votre vie, ou près de vous, des ouvertures de tombeaux, sachez que c’est le Dieu de Jésus-Christ qui est à l’œuvre, qu’il est vivant, qu’il est puissant, et qu’il vous offre la vie éternelle. Pas forcément la richesse ou la santé. Mais la plénitude de vie de celui ou celle qui demeure en lui. Et là où vous le constatez, là où ça vous fait du bien, alors, second effet majeur : louez-le, chantez-le, « chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles » (Ps. 98 / 1) Laissez-vous aller à être non pas comme les grands-prêtres de Jérusalem et leurs scribes, mais plutôt comme les enfants qui acclament Jésus là où on ne devrait pas… À moins que ce ne soit justement là où on doit le faire : là où il est, là où il agit, dans et contre ce monde, dans et contre nous, pour nous et pour le monde. Faites comme ces enfants, « le royaume de Dieu est pour leurs pareils. » (Marc 10 / 14) Ça vous sera forcément « un chant nouveau », puisqu’il désignera une réalité nouvelle, la vôtre en Christ !

 

Il y a de pseudo-miracles qui enferment et qui tuent. Ce ne sont pas de vrais miracles, même si ce sont de vraies manipulations de la réalité, œuvres des démons et de leurs esclaves. Ce qui caractérise les miracles de Jésus, les « merveilles de Dieu », c’est qu’ils ne nécessitent ni n’entraînent nul esclavage, et qu’au contraire ils libèrent ceux qui étaient prisonniers, annonce de la future libération du monde, un monde enfin restauré dans sa qualité de création du seul vrai Dieu. Les miracles du Dieu de Jésus-Christ font de leurs bénéficiaires des gens libres et reconnaissants. N’aspirez pas aux miracles, mais aspirez à celui qui les fait, et qui peut agir de manière infiniment diverse : attendez-vous à lui, pas aux miracles. Reconnaissez-les s’il y en a qui sont pour vous, mais surtout reconnaissez-le, lui. Ne soyez pas de ceux à cause de qui « il les laissa et sortit de la ville… » Mais plutôt, « Que la parole du Christ habite en vous avec sa richesse, instruisez-vous et avertissez-vous réciproquement, en toute sagesse, par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels ; sous la grâce, chantez à Dieu de tout votre cœur. » Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  14 mai 2017

 

 

 

Contact