Évangile selon Marc 2 / 1-12

texte :

Jésus revint à Capernaüm. On apprit qu’il était à la maison, et il s’assembla un si grand nombre de personnes qu’il n’y avait plus de place, même devant la porte. Il leur annonçait la parole. On vint lui amener un paralytique porté par quatre hommes. Comme ils ne pouvaient le lui présenter, à cause de la foule, ils découvrirent le toit au-dessus de l’endroit où se tenait Jésus, et ils descendirent par cette ouverture le lit sur lequel le paralytique était couché. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : « Mon enfant, tes péchés te sont pardonnés. » Il y avait là quelques scribes qui étaient assis et qui raisonnaient en eux-mêmes : « Comment celui-là parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui peut pardonner les péchés, si ce n’est Dieu seul ? » Jésus connut aussitôt par son esprit les raisonnements de leurs cœurs et leur dit : « Pourquoi faites-vous de tels raisonnements dans vos cœurs ? Qu’est-ce qui est plus facile, de dire au paralytique : “Tes péchés sont pardonnés”, ou de dire : “Lève-toi, prends ton lit et marche” ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés : Je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison. » Et à l’instant, il se leva, prit son lit et sortit en présence de tous, de sorte qu’ils étaient hors d’eux-mêmes et glorifiaient Dieu en disant : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. »

 

 

premières lectures :  Exode 34 / 4-10 ; Épître de Jacques 5 / 13-16

chants :  107 et 45-03

télécharger le fichier PDF ici

 

prédication :

 

Prisonnier ! Jésus est prisonnier dans sa propre maison ! Tout autour les gens se pressent, « plus de place même devant la porte ! » Toujours, quand on lit ce texte, on voit bien que la personne paralysée et les quatre hommes qui la portent ne peuvent pas entrer, aller vers Jésus en passant par la porte qui est bloquée. Je me rappelle avoir fait jouer la scène par des catéchumènes lors d’un culte, dans une de mes précédentes paroisses, et toute l’assemblée a retenu son souffle – et pourtant l’on entendait dans le silence un vent de reproche muet à l’égard du pasteur que j’étais – quand le catéchumène qui jouait le paralysé est descendu sur un brancard depuis la tribune du temple ! Au moins les gens s’en rappellent-ils sans doute… ! Tous, nous mettons ainsi l’accent sur le fait qu’on ne peut pas passer de dehors vers dedans. Ainsi en est-il du judaïsme d’ailleurs, où, à moins d’un incertain « parcours du combattant », il n’est guère possible d’entrer. La religion est verrouillée, la porte de l’Église est fermée.

 

Certaines paroisses, notamment alsaciennes voire helvétiques, militent pour une « Église inclusive », où tout un chacun, quelque que soit son « genre », comme on dit dans ces milieux-là, quelle que soit son orientation sexuelle, quelle que soit sa race, etc., chacun y est à sa place. Moi, je croyais naïvement que toute paroisse se devait d’accueillir toute personne qui frapperait à sa porte, sans pour autant qu’on légitimât les pratiques, les sentiments ou les idées de qui que ce soit. Mais c’est que je suis un idéaliste, d’ailleurs pas même vraiment conscient de mes propres refus. En fait, nous dit le texte de ce matin, l’Église est fermée, ceux qui veulent y entrer doivent forcer sa porte – ou son toit ! Heureusement de nombreuses gens le font aujourd’hui, et notre Église ressemble de moins en moins à une cousinade ou à un club d’habitués, tout en tâchant d’en garder le côté positif et intéressant.

 

Ainsi nous ressemblons bel et bien à la maison de Jésus telle que décrite par l’évangéliste Marc. Une Église dans laquelle Jésus se trouve et « annonce la Parole », où on ne peut pas entrer par la porte, mais où on peut tout à fait entrer par le toit. Nous sommes à la fois chez nous et ouverts. Il n’y a rien de mal à ça, rassurez-vous ! C’est là, dans cette maison, que nous nous découvrons paralysés, et que nous entendons Jésus nous pardonner de la part de Dieu, et plus que ça : nous relever de nos infirmités ! Mais est-ce « plus » que d’être pardonné ? Jésus semble penser que le pardon est plus important, quoique moins visible, que la guérison. Nous, nous aimons bien la perspective d’être guéris… Pourquoi sommes-nous moins intéressés par le pardon ? Parce que nous ne nous sentons pas pécheurs ? Ou parce que nous ne croyons pas le pardon possible pour nous ? À moins que le mot-même de « pardon » soit pour nous un « gros mot », comme dans le « Notre Père » : « pardonne-nous comme nous pardonnons aussi… » Mais voilà, nous ne pardonnons pas, ou pas facilement, nous ! Peut-être les scribes qui étaient là, assis devant Jésus, pensaient-ils comme nous ? Ou bien croyaient-ils que le pardon ne s’obtenait que par les rites prescrits dans la Loi de Dieu ? Ça leur posait problème, en tout cas, que Jésus prenne la liberté de pardonner comme s’il était Dieu…

 

Mais voilà : il est Dieu ! Dieu et enfermé dans sa maison. Oui, je sais… « Dieu n’habite pas dans des temples faits à la main » (Actes 17 / 24). Mais l’Église, son Église, le capture volontiers, tout comme le judaïsme avait fini par croire que Dieu habitait vraiment le « Saint des saints », derrière le voile du Temple de Jérusalem, ou en tout cas qu’il y descendait lors des fêtes, lorsque le grand-prêtre venait le rencontrer, comme Moïse au désert autrefois… Et les croyants – ceux qui croient en lui, en Jésus – les croyants pensent volontiers que Dieu est enfermé dans leur propre cœur, et ils en sont alors bien contents. C’est vrai que « la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité… » (Jean 1 / 14) Mais elle n’a pas été « faite chair », elle ne s’est pas incarnée, en tout être humain – encore moins dans les bêtes ou dans la nature, comme pensent les païens – mais en Jésus, dans cet homme particulier qui a vécu et est mort il y a 2 000 ans, et dont nous affirmons qu’il a vaincu la mort, qu’il n’a pas pu y resté enfermé, prisonnier (cf. Actes 2 / 27 ; 13 / 35).

 

Prisonnier. Nous y revoilà. Serait-ce donc la vocation de Jésus, d’être prisonnier ? Mais alors c’est pour s’échapper de la prison ! Revenons au texte de Marc. Dans la représentation que nous avons de cette maison, si on peut entrer par le toit, personne ne songerait à ressortir par là ! Et voici que tous sont bloqués là. Ceux qui bloquent la porte devraient sortir les premiers, puis ceux de derrière, et ainsi de suite. Une commission de sécurité désapprouverait formellement ! Tant que « les gens » ne sortent pas, Jésus ne peut pas sortir. Mais voilà que maintenant ils sont deux : Jésus et le paralysé. Ils sont enfermés ensemble. Ça n’avait pas frappé les autres, qui ne se sentaient sans doute pas enfermés, prisonniers… Mais pour le paralysé, la question ne se posait pas tant la réponse est évidente : prisonnier de son handicap, enfermé dans sa paralysie – ce n’est pas n’importe quel handicap : il ne peut pas bouger si on ne l’aide pas, il ne peut pas sortir… ! Ne vous sentez-vous pas prisonniers, prisonniers de ce que Paul appelle « la chair » (cf. Rom. 7 – 8), tirés vers le bas en tellement d’occasions de notre existence… ? Paul écrivait encore ceci, que vous connaissez : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? – Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! » (Rom. 7 / 24-25)

 

Et c’est ce à quoi nous assistons ce matin à Capernaüm. Un homme est « relevé » – c’est le même mot que « ressuscité » – par la parole que Jésus lui adresse, parole de pardon et de guérison. Mais Jésus ne lui adresse pas cette parole depuis dehors, lui libre à l’homme prisonnier de sa paralysie – à moins que ce soit paralysé par ses prisons. Ils sont enfermés ensemble. À vues humaines, ni l’un ni l’autre n’ont la liberté de s’en aller. À plusieurs reprises dans les évangiles Jésus devra fendre la foule et se sauver (Luc 4 / 30 ; Jean 6 / 15). Ici, pour l’instant, il ne peut pas, parce que cet homme paralysé a besoin de lui, et que Jésus ne peut lui répondre que du lieu où ils se trouvent tous les deux – ce que savait l’homme, puisqu’il est venu là où Jésus se trouvait… C’est la même expérience que Job au milieu de son livre : « Je sais que mon rédempteur est vivant, Et qu’il se lèvera le dernier sur la terre, Après que ma peau aura été détruite ; Moi-même en personne, je contemplerai Dieu. » (Job 19 / 25-26) Job sait rencontrer dans la mort celui qui rachète sa vie. Tout comme ici le paralysé de Capernaüm sait rencontrer, dans la prison de son corps, le seul qui peut vraiment quelque chose pour l’en faire sortir.

 

C’est une constante dans les évangiles. Jésus se retrouve au même endroit, au même niveau, que ceux qui sont à terre : la femme adultère (Jean 8 / 1-11), « les péagers et les pécheurs » (Marc 2 / 15-16) juste après notre texte, etc. Après sa mort, ses disciples se terrent, paralysés par la peur d’être arrêtés par la police, comme leur Maître : « les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient fermées, par la crainte qu’ils avaient des Juifs… », dira l‘évangéliste (Jean 20 / 19) Et à nouveau Jésus se retrouvera auprès d’eux, enfermé avec eux ! Mais cette fois, les « portes fermées » ne l’empêchent nullement d’aller et venir : il est ressuscité ! Encore une fois, nous assistons à la même chose dans notre récit, bien que la résurrection ne soit pas encore celle de Jésus, mais le « simple » lever du paralysé pardonné. Marc nous précise que l’homme « sortit en présence de tous ». Toute l’image d’une pièce bondée et fermée d’où personne ne peut sortir s’est dissipée par la parole de Jésus. C’est comme si non seulement la paralysie de l’homme avait disparu, mais la porte elle aussi !

 

Et les spectateurs de ce miracle – pardon ou guérison ? mais miracle ! – les spectateurs « étaient hors d’eux-mêmes », dit ma traduction. En fait c’est un seul mot, et c’est comme pour l’homme : lui, il « sortit », c’est-à-dire « alla dehors », et eux ils « se tenaient dehors », dit le mot-à-mot du texte. Comme si maintenant la maison elle-même n’avait plus d’importance, et que leur corps lui-même était libéré de toutes ses inhibitions ! En fait, c’est tout ce qui était prison qui a disparu par la parole de Jésus exprimant la grâce agissante de Dieu malgré l’hostilité des biblistes ! Tout de suite après, le verset suivant, que je ne vous ai pas lu, annonce que « Jésus sortit de nouveau » : il n’a plus de raison de rester là, les portes ont disparu, la maison a disparu, parce que la paralysie du paralysé a disparu. Il y a d’autres gens ailleurs qui ont besoin de pardon, et Jésus y va…

 

Les bons théologiens parmi vous me diront que nous avons été pardonnés, justifiés, une fois pour toutes dans la mort et la résurrection de Jésus, et que nous n’en avons plus besoin, c’est fait. Amen ! Mais j’aperçois dans vos vies et dans la mienne quelques traces d’autre chose qui n’a pas disparu, qui persiste, quelques portes fermées, quelques paralysies secrètes ou évidentes, quelques grabats qu’on n’a pas rangé à la cave, au cas où on en aurait à nouveau besoin… C’est sans doute à l’Église, là où Jésus parle, qu’on y peut quelque chose – qu’il y peut quelque chose ! Mais on n’ose pas, n’est-ce pas : les portes sont fermées… Que ce soit de dehors ou de dedans, dans nos têtes et nos cœurs les portes sont fermées… Mais Jésus se tient là, il entre dans nos prisons même portes fermées ! Et s’il lui arrive de guérir nos corps, nous savons bien au fond de nous que ce n’est pas de ça que nous avons besoin, mais de sa parole de pardon et de vie. Nous avons besoin de l’entendre nous dire de « [nous] lever, prendre [notre] grabat et rentrer chez [nous] », sortir libres, libérés de notre péché par lui, par sa parole, par le pardon de Dieu que sa parole nous signifie.

 

Et ce n’est pas pour demain, après notre mort, mais bien pour ici et maintenant. Jésus le dit clairement : « le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés… » « Sur la terre », sur mon grabat, dans mes addictions, dans ma prison, là où je vis et là où ma vie ressemble à la mort. C’est là que Jésus vient s’enfermer pour me libérer, c’est là que Jésus vient mourir afin que je vive. L’Église de Jésus-Christ, c’est là où la liberté des vivants naît de la parole de celui qui a accepté et vaincu la mort. « Moi, je suis la porte, dit Jésus ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera des pâturages. […] Moi, je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. » (Jean 10 / 9. 11) En vision à Jean, il dira : « Écris à l’ange de l’Église de Philadelphie : Voici ce que dit le Saint, le Véritable, Celui qui a la clé de David, Celui qui ouvre et personne ne fermera, Celui qui ferme et personne n’ouvrira : Je connais tes œuvres. Voici : j’ai mis devant toi une porte ouverte que nul ne peut fermer… » (Apoc. 3 / 7-8) N’est-ce pas un « miracle tel qu’il n’y en a jamais eu sur toute la terre et dans toutes les nations », comme Dieu l’annonçait à Moïse ? C’est pour nous ! Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  23 octobre 2022

 

Contact