Évangile selon Matthieu 2 / 1-12

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 2 / 1-12   (trad. : Parole de vie)

premières lectures :  Ésaïe, 60 / 1-6 ; épître aux Éphésiens, 3 / 1-7

chants :  32-12 et 32-15  (Alléluia)

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L’Évangile aux nations, la Bonne nouvelle pour les païens, « le pain des enfants » pour « les petits chiens » (Matth. 15 / 26-27) … En quoi sommes-nous concernés, 20 siècles après, alors que toute l’Église chrétienne ou presque est composée de non-Juifs ? Et l’étoile ? Qu’en est-il de l’étoile ? Qu’en dit la science ? Chers amis, ce qu’en dit la science n’est pas mon souci. Posons-nous plutôt la question : qu’en dit la Bible ? Car après tout, c’est cette étoile qui a motivé les Mages à faire leur voyage à Jérusalem ! Eh bien, cette étoile, pour le moment, elle n’est pas extraordinaire. Car les Mages se sont spécialisés en astrologie, c’est leur métier de comprendre à partir du mouvement des astres ce que la divinité indique aux humains. Ils ont donc déduit du lever oriental d’une certaine étoile qu’un roi venait de naître à Jérusalem… et ils sont venus. « A star is born », comme qui dirait, et ça vaut le déplacement !

 

Le lieu d’apparition de l’astre m’a fait penser à cette prophétie de Zacharie, le père du Baptiste, qui, elle, est très étrange astronomiquement parlant : « C’est par l’ardente miséricorde de notre Dieu que le soleil levant nous visitera d’en-haut pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort et pour diriger nos pas dans le chemin de la paix. » (Luc 1 / 78-79) Dans le prophète Ésaïe, c’était Jérusalem qui se levait comme un astre brillant, mais pour Zacharie, c’est le Seigneur venant visiter son peuple, et c’est à la fois le levant et le zénith ! Comment en effet le soleil peut-il à la fois se lever – à l’est bien sûr – et éclairer depuis le haut ? Est-ce donc le soleil que les Mages ont vu se lever ? Il n’y aurait guère de mystère là-dedans ! Comment auraient-ils pu en conclure à la naissance d’un roi des Juifs, alors que le soleil se lève à l’est tous les matins depuis que le monde est monde ?! En tout cas à ce qu’il nous en semble de son mouvement apparent…

 

Apparent… Puisque vous le savez-bien, et j’ai lu que les astronomes grecs le savaient aussi, bien avant notre ère, c’est nous qui tournons et non pas le soleil ! Serait-ce alors que ce matin-là nos Mages se sont tournés vers lui, ce qu’ils ne faisaient pas d’habitude ? C’est intéressant comme lecture, car le soleil, se levant, fait pâlir et disparaître tous les autres astres – sauf parfois la lune, malgré la chanson… C’est comme si on affirmait que le vrai Dieu, lorsqu’il paraît, fait pâlir et disparaître tous les faux dieux, les révélant tels aux yeux des humains. Lorsque Jésus paraît, il n’y a plus aucune religion qui vaille, et d’ailleurs la suite va le montrer, même à Jérusalem. Les Mages ont été clairvoyants, le vrai Dieu, l’Unique, est bien le Dieu d’Israël, et comme le prophétisait l’Ancien Testament, c’est à Jérusalem qu’on l’adore. L’étoile – ou le soleil, qu’importe l’image – ne les a pas guidés jusque-là, ils l’ont vue depuis chez eux, et ils ont su où aller. Ils sont venus, ils sont là, et personne ne comprend pourquoi. Aucun héritier ne vient de naître du roi « mal circoncis », Iduméen que les Romains ont posé sur le trône de Jérusalem et qui n’est pas arrivé à se faire aimer des Juifs.

 

La traduction en français fondamental dans laquelle je vous ai lu les textes de ce matin ne parle pas de Mages, mais de « sages ». Hérode aussi a les siens, de sages ; Hérode a compris qu’il s’agissait d’une annonce du Messie tant attendu par ceux qui ne veulent ni de lui ni des Romains. Il se tourne donc vers ses sages à lui, qui savent lire la Bible, et qui y découvrent Bethléem, la ville de David avant qu’il fût roi (1 Sam. 16 / 1). Car le Messie est fils de David, il est le roi légitime, héritier de la promesse de royauté perpétuelle faite par Dieu à David. Les Mages ont eu l’étoile, les Juifs ont la Bible, tous savent donc, chacun dans sa propre religion, sa propre science. Cela a conduit les Mages au mauvais endroit, et cela conduira Hérode et les grands-prêtres juifs au mauvais choix. Mes yeux, ma religion, ma science, sont infirmes à voir le vrai Dieu par eux-mêmes. Il faudra plus, il faudra, cette fois, une véritable atteinte aux lois de la nature !

 

Ainsi, l’étoile qui avait été aperçue par les Mages chez eux réapparaît-elle maintenant. Leur science leur avait suffi pour venir à Jérusalem, mais Jérusalem désormais n’est plus dans Jérusalem ! La Bible, via Hérode et ses scribes, leur a indiqué l’endroit, mais c’est l’étoile qui va les y guider. Et là, clairement – c’est le cas de le dire – l’étoile est angélique, elle est messagère de joie – ce qu’aurait dû être Jérusalem. « L’étoile avance devant eux. » Tel l’Ange du Seigneur, elle ouvre la route. Et elle s’arrête au-dessus de la maison. Son rôle est terminé. Le véritable soleil qui s’est levé sur le monde est là en personne, et cela suffit. Ils contemplent le Seigneur de gloire, que leur faudrait-il d’autre ? Ils lui offrent ce qui aurait dû arriver à Jérusalem, au palais ou au Temple. Mais à Bethléem à cette époque, il n’y a ni palais ni temple. La politique et la religion se congratulent à Jérusalem et ne dirigent plus rien sinon pour le mal. Autre chose est apparu à Bethléem, une autre réalité est possible hors de Jérusalem.

 

Est-ce à dire hors du judaïsme ? Mais à côté de la « Jérusalem qui tue les prophètes » (Matth. 23 / 37), il y a d’autres villes en Juda, et Bethléem est bien l’une d’elle ! À côté de la religion officielle, il y a la foi des gens, l’attente du Messie, l’ouverture à l’inattendu aussi, l’inattendu de Dieu, l’accomplissement décalé des prophéties. À côté de la religion, il y a de la place pour Dieu ! Voilà aussi pourquoi les païens ont leur place dans cette histoire : eux aussi, par définition, sont à côté du judaïsme officiel… Qui donc, mieux que des Juifs marginaux et des marginaux païens, pourrait reconnaître un Dieu tellement marginal lui aussi, marginal par rapport à ce qu’on dit de lui, marginal par rapport aux idées, aux valeurs, aux lieux, dans lesquels on aime l’enfermer pour s’en protéger ou pour l’utiliser à notre goût. Mais même dans le plus sage des ciels étoilés, il arrive que se lève une étoile inattendue !

 

Car il est inattendu que des païens soient destinataires de l’Évangile. Il est inattendu que des païens puissent être eux aussi guéris, sauvés, de leur éloignement d’avec Dieu, par Dieu lui-même, et tout aussi gratuitement que des Juifs. L’apôtre Paul dira les choses clairement, les autres apôtres et les autres chrétiens juifs lui en voudront… Les prophètes avaient bien prédit la conversion des nations païennes et l’arrivée à Jérusalem de leurs trésors, mais voici que des païens déposent leurs trésors aux pieds d’un enfant dans un village et non pas sur la montagne du Temple, et qu’ils s’en retournent chez eux, en pays païen, sans même repasser par Jérusalem, son palais et son Temple ! Et ils s’en retournent païens… On n’est pas encore avec l’eunuque éthiopien qui, lui, se fera baptiser après avoir reconnu le Christ dans l’Écriture expliquée par Philippe (Actes 8 / 26-39) : lui aussi était venu pour adorer, lui connaissait la Bible, lui aussi s’est converti à Jésus-Christ, non plus l’enfant de Bethléem, mais le crucifié hors les murs de Jérusalem prêché par l’Église chrétienne.

 

La nouveauté inattendue, c’est donc que les païens ne se font pas juifs et qu’ils retournent chez eux. Et pourquoi est-ce qu’ils retournent chez eux ? Pour parler de ce qu’ils ont vu, entendu, compris, reçu ; pour parler de Jésus, Dieu venu en chair pour tout être humain, qu’il soit juif ou païen, noir ou blanc, de bonne ou de mauvaise religion ou idéologie. Dans les récits évangéliques, Jésus renverra ainsi plusieurs fois des gens, notamment l’ex-possédé de Gérasa : « Il lui dit : “Va dans ta maison, vers les tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur t’a fait et comment il a eu pitié de toi.” Il s’en alla et se mit à publier dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. » (Marc 5 / 19-20) Car l’action de Dieu en Jésus n’a pas pour but de grandir le judaïsme avec quelques convertis, mais de sauver des gens de partout. Il serait bon que les Églises chrétiennes s’en souviennent aussi : Jésus n’est pas un agent recruteur, mais un sauveur, le seul Sauveur. Comme Paul l’écrit en un verset célèbre souvent mis en exergue dans le protestantisme : « la Bonne Nouvelle est la puissance de Dieu pour sauver tous ceux qui croient : les Juifs d’abord, les autres ensuite. En effet, la Bonne Nouvelle montre ceci : Dieu reconnaît les êtres humains comme justes quand ils croient en lui, et cette foi suffit. Oui, dans les Livres Saints, on lit : Celui qui croit en Dieu est juste, et ainsi, il aura la vie. » (Rom. 1 / 16-17)

 

Nous qui ne sommes pas juifs – et quand bien même le serions-nous – cette épiphanie de Dieu en Jésus, cette manifestation de sa divinité dans notre humanité, nous concerne totalement, chacun de nous. Nous qui nous savons indignes de Dieu, trop préoccupés de nous-mêmes, avec, dans nos existences concrètes, nos foyers, notre vie sociale, 36.000 priorités qui ne sont pas les siennes, nous avons pourtant été aimés de lui, visités par lui, sauvés par lui, adoptés par lui. Et si nous le savons, c’est pour en témoigner. Et si nous avons à en témoigner, c’est que nous avons vu ce salut agir en nous et pour nous, chacun à notre manière, chacun avec notre propre manière de lire notre existence et les événements qui nous arrivent. Nous ne nous attendons plus à une étoile particulière qui nous conduirait à Jésus : c’est fait. Et nous ne le voyons plus ? C’est normal, il nous a renvoyés chez nous, non pas pour que nous y végétions, mais pour que nous y grandissions dans la foi, l’espérance et l’amour, ensemble, avec et pour les autres.

 

L’histoire ne dit pas ce que sont devenus les Mages qui avaient apporté l’or, l’encens et la myrrhe. L’important, ce n’est ni eux, ni leurs cadeaux. C’est l’étoile, c’est-à-dire Jésus. Et c’est vous, qui comme les Mages vous êtes « mis à genoux et avez adoré l’enfant », et en lui, l’adulte crucifié pour vous. L’important, c’est Jésus et vous, c’est ce qu’il y a entre Jésus et chacun de vous, sa grâce et votre foi. Notre fraternité chrétienne ne se fonde pas sur nos bons sentiments les uns avec les autres – sentiments qui sont ce qu’ils sont et donc pas toujours si bons que ça ! Non, notre fraternité chrétienne se fonde sur ce qui existe entre chacun d’entre nous et Jésus, sur ce que la manifestation, l’épiphanie de Dieu en Jésus a produit dans nos vies, dans notre identité. C’est parce que nous sommes chacun fils ou fille du Père de Jésus que nous sommes institués frères et sœurs les uns des autres. Ayant contemplé le même Sauveur, nous sommes constitués en Église par le fait-même, car l’Église, c’est le rassemblement de tous ceux – quels qu’ils soient – qui se tiennent aux pieds de Jésus pour l’adorer, et qui ensuite « prennent un autre chemin » que celui de la vieille religion pour en témoigner chacun chez lui, dans son propre pays. Ne faisons pas de notre protestantisme une « vieille religion » à laisser de côté, à contourner, mais au contraire un mouvement de témoignage rendu à Jésus-Christ non par une puissance que nous n’avons pas, mais dans l’humilité-même de sa venue parmi nous : nous tels que nous sommes. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  6 janvier 2019

 

 

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