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Psaumes 126 – 128
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texte : (trad. André Chouraqui)
Poème des montées.
Au retour d’Adonaï, avec le retour de Sion, nous sommes comme des rêveurs. Alors notre bouche s’emplit de rire, notre langue de jubilation. Alors, dans les nations, ils disent : « Adonaï a fait grand pour agir avec eux ! » Adonaï a fait grand pour agir avec nous ; nous sommes dans la joie. Retourne, Adonaï, avec notre retour, comme les torrents au Néguev. Les semeurs en larmes, dans la jubilation moissonnent. Il va et pleure, le porteur du fardeau des semences. Il vient, il vient dans la jubilation, le porteur de ses gerbes.
Poème des montées. De Salomon.
Si Adonaï ne bâtit la maison, en vain peinent ses bâtisseurs. Si Adonaï ne garde une ville, en vain guette le gardien. Vain, pour vous, tôt-levés, tard-couchés, de manger le pain des peines : il en donne autant à son ami qui sommeille. Voici la possession d’Adonaï : des fils, la rétribution du fruit des ventres. Comme des flèches dans la main du héros, tels sont les fils de la jeunesse. En marche, le brave qui en a rempli son carquois ! Ils ne blêmissent pas quand ils parlent aux ennemis à la porte.
Poème des montées.
En marche, tout frémissant d’Adonaï, qui va sur ses routes ! Oui, tu manges du labeur de tes paumes ! En marche, toi, quel bien pour toi ! Ta femme est comme une vigne en fruit aux cuisses de ta maison, et tes fils comme des plants d’oliviers autour de ta table. Voici, oui, il est ainsi béni, le brave qui frémit d’Adonaï. Adonaï te bénit de Sion. Vois le bien de Jérusalem tous les jours de ta vie ! Vois des fils à tes fils ! Paix sur Israël !
premières lectures : Épître aux Galates 5 / 25 – 6 / 5 ; Première épître de Pierre 5 / 5b-11
chants : 14-09 et 45-21
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prédication :
Chers amis, dans notre chant, « toutes choses vous seront données en plus » était une prophétie de ce culte, puisqu’au lieu de ne lire que les 2 premiers versets du psaume 127, selon la liste habituelle, non seulement je vous l’ai lu en entier, mais aussi avec le précédent et le suivant ! Trois petits psaumes parmi les quinze qui suivent le très long psaume 119 sur la Loi, et qui s’intitulent « chants des montées », ou, pour le dire comme Chouraqui, « poèmes des montées ». Autant dire que le Temple de Jérusalem – vers lequel on montait, peut-être en les chantant – est implicitement au cœur de ces psaumes. Et le titre du 127 précise même : « pour Salomon », qui est, comme vous savez, le roi bâtisseur de ce Temple… Nous serons donc, ce matin, nous serons Salomon, et sans être pour autant des francs-maçons, nous serons invités à construire notre Temple… !
Mais que construirons-nous ? Bien sûr, si ce n’était ce contexte, notre psaume pourrait s’entendre comme une sagesse pour la vie humaine devant Dieu, comment se comporter dans le concret de l’existence. Le sens est alors assez clair, et c’est le premier qui nous vient en lisant ce psaume. C’est que, si tu entreprends quelque chose, ça ne marche pas tant que Dieu ne t’y aide pas. Et l’aide de Dieu, ce sont des fils, ce sont eux qui vont t’aider de la part de Dieu ! Tu seras fort de leur présence à tes côtés dans tout ce que tu entreprends… Ceci suppose une société traditionnelle, tribale ou en tout cas fortement familiale, où les enfants adultes participent au même œuvre que leurs parents sous la direction de ceux-ci, et plus précisément sous la direction du père. Mais ça, c’était avant ! De plus, cette compréhension simple s’avère simpliste : elle suppose que les enfants sont une bénédiction pour le travail des parents. Exit donc les célibataires, les familles recomposées, la vie urbaine, le libre choix professionnel des enfants, etc. On est vraiment très loin du monde d’aujourd’hui, et avec cette théologie naturelle très loin aussi d’une théologie vraiment évangélique…
Or la première chose que Dieu a faite, pour nous mais sans nous, c’est « le retour de Sion », comme dit le psaume 126, c’est le retour des Exilés de Babylone à Jérusalem, ville qui est mentionnée explicitement à la toute fin du troisième psaume. La participation des gens à cet agir de Dieu a été la joie et le rire, et, bien sûr, de rentrer. Mais pour eux, c’est Dieu seul qui a agi, c’est Dieu qui a débloqué la situation, au point qu’Ésaïe parlera de Cyrus, roi de Perse qui a permis ce retour, comme du « messie » de l’Éternel (És. 45 / 1), le même titre que pour David et ses successeurs, et pour Jésus. C’est seulement dans un deuxième temps qu’il est question de ce que font les gens : « Les semeurs en larmes, dans la jubilation moissonnent. Il va et pleure, le porteur du fardeau des semences. Il vient, il vient dans la jubilation, le porteur de ses gerbes. » Ainsi Dieu agit, et cela permet la vie de ceux pour qui il agit. Le psaume 104 en parlait de manière très générale, non pas seulement pour Israël, non pas même seulement pour les humains, mais pour tous les animaux et toute la nature : « Tu amènes les ténèbres, et il fait nuit : Alors tous les animaux de la forêt se mettent en mouvement, Les lionceaux rugissent après la proie Pour demander à Dieu leur nourriture. Le soleil se lève : Ils se retirent Et se couchent dans leurs tanières. L’être humain sort à son ouvrage Et à son travail, jusqu’au soir. Que tes œuvres sont en grand nombre, ô Éternel ! Tu les as toutes faites avec sagesse. » (Ps. 104 / 20-24) Vu par celui qui est au bénéfice de cette action de Dieu, c’est le cri de surprise et de joie qu’on entend dans le premier de nos psaumes de ce jour : « Adonaï a fait grand pour agir avec nous ! »
Dieu a débloqué l’Exil, les Exilés sont rentrés. Et eux, que vont-ils faire pour rester fidèles à ce qu’on vient d’entendre ? Pour certains, rien : ils vont se préoccuper d’eux-mêmes sans aide de Dieu et même sans se soucier de lui, de son projet à lui pour eux. On entend le prophète Aggée : « Ainsi parle l’Éternel des armées : Ce peuple dit : “Le temps n’est pas venu, le temps où la Maison de l’Éternel doit être rebâtie”. Alors, la parole de l’Éternel leur fut adressée par l’intermédiaire du prophète Aggée, en ces mots : Est-ce le temps pour vous D’habiter vos demeures lambrissées, Quand cette Maison est en ruines ? Ainsi parle maintenant l’Éternel des armées : Réfléchissez à votre conduite ! Vous avez beaucoup semé Et vous rapportez peu, Vous mangez sans être rassasiés, Vous buvez, mais pas à votre soûl, Vous êtes vêtus sans avoir chaud ; Le salarié reçoit son salaire dans un sac percé. Ainsi parle l’Éternel des armées : Réfléchissez à votre conduite ! » (Ag. 1 / 2-7)
Évidemment la sanction est ici l’inverse de ce qui était montré au psaume précédent : alors qu’eux ont semé dans la joie et non dans les larmes, point de jubilation dans une moisson minable, point de gerbes à porter… Ils ont bossé en vain, comme le dit parfaitement le psaume 127. Bien sûr il faut bâtir, mais il est vain de vouloir le faire si ce n’est pas Dieu qui fait. Bien sûr il faut garder la ville, mais il ne sert à rien de le faire si ce n’est pas l’Éternel qui fait ! Ces phrases sont étranges : dans cette construction comme dans cette garde, les deux agissent, Dieu d’une part, et d’autre part Salomon ou Israël ou vous, c’est pareil. On n’a pas Dieu qui fait, et nous qui applaudissons passivement. Ça c’était le retour d’Exil, c’était la première étape. On n’a pas non plus Dieu qui commande, et nous qui exécutons sous ses applaudissements ! Maintenant Dieu fait, et nous faisons. Mais faire sans lui c’est perdre son temps. Comme le dira Jésus : « Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15 / 5)
Le bizarre de ces phrases se poursuit : à ceux qu’il aime, Dieu donne la maison et la ville, même s’ils dorment ! Où est alors la participation humaine ? Mais c’est pour bien marquer le contraste : sans Dieu, on peut bien y sacrifier sa vie, on n’arrivera à rien ; avec lui, on peut bien dormir, cela même nous réussira ! Mais la tonalité du psaume, des trois psaumes, n’est pas de ne rien faire, mais bien de travailler du même travail que Dieu. Pour nous, comme le retour d’Exil, la grâce est première, la foi nous vient de Dieu lui-même. Mais nous avons reçu ces cadeaux afin d’agir selon le plan de Dieu. Contrairement à la lecture simpliste de tout à l’heure, il n’est pas question ici de nos œuvres à nous, mais de celles de Dieu, auxquelles il nous appelle. Pour l’époque, il s’agissait donc de la construction du Temple et de garder la ville de Jérusalem des ennemis qui s’y opposaient. Et qu’en est-il des « fils » qui sont « comme des flèches dans la main du héros » ? « Bâtir » et « fils » ont la même racine en hébreu, et entre « bâtisseurs » et « fils », seule une voyelle fait la différence. Dieu n’est-il pas le héros, « le brave qui en a rempli son carquois » ? Ainsi Dieu s’est donné des fils, des bâtisseurs pour son projet !
Hélas, hélas, après l’Exil, le Temple sera objet de controverse et de convoitise, puis de nouveau profané, rebâti, re-profané, finalement détruit, puis remplacé par un bâtiment musulman… Et on sait la distance, pour ne pas dire l’opposition farouche, entre Jésus et le Temple. Selon les Évangiles, et alors que Jésus en prophétisait la chute, ce sont les gens qui le faisaient fonctionner qui ont fait crucifier celui qu’ils n’ont pas reconnu comme le Christ. À moins de faire de Dieu un menteur, ce n’est donc pas du Temple de Jérusalem que parlait le psaume ! Ce n’est pas du Christ non plus, bien qu’il soit, lui, en son corps crucifié et ressuscité, le vrai Temple, le seul lieu de la présence de Dieu aux humains. Et si le psaume parle de nous, comment faut-il alors comprendre, si l’on évacue la lecture simpliste que j’évoquais au début ?
Peut-être la Maison est-elle l’Église ! En effet, Dieu y est premier, c’est lui, par grâce – je vous le rappelais –, qui nous a donné la foi, et qui par voie de conséquence nous a donné à l’Église. Et pourtant l’Église qui nous précède nous est donnée afin que nous en soyons les « pierres vivantes », comme l’écrit l’apôtre Pierre : « Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, en vue d’offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » (1 Pi. 2 / 5) Tel est le projet du Dieu qui « n’habite pas dans des temples faits à la main » (Actes 17 / 24) : faire de nous ensemble sa demeure au cœur du monde ! N’a-t-il pas fait de nous ses fils et ses filles en Jésus-Christ par le baptême en sa mort (Rom. 6 / 3) ? Fils et bâtisseurs, outils et armes dans la main du Seigneur « afin que le monde croie » (Jean 17 / 21). Dans cette parole de Jésus, il s’agit d’être unis ensemble et avec Christ.
Les deux autres textes bibliques nous le rappellent : « ne devenons pas vaniteux en nous provoquant les uns les autres », « dans vos rapports mutuels, revêtez-vous tous d’humilité », etc. Un seul moyen : « déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. » Ces épîtres rejoignent nos psaumes, et sont la clef de la contradiction qui nous arrêtait tout à l’heure. Dieu fait : « il prend soin de nous », afin que nous fassions sans crainte, afin que nous soyons unis sans jalousies ni rancunes, et qu’ainsi la « maison spirituelle » prenne forme dans nos cœurs, dans nos vies, et parmi nous. Alors, au lieu que nous tremblions de peur en pensant au présent et au futur de notre Église qui est celle du Christ, au lieu que nous soyons arrêtés et découragés par nos médiocrités et nos incapacités quelles qu’elles soient, nous pourrons retrousser nos manches dans la joyeuse certitude que c’est lui qui conduit le chantier et qui nous rendra conforme à ses besoins. « Voici, oui, il est ainsi béni, le brave qui frémit d’Adonaï » – selon la langue inimitable de Chouraqui, ou dans celle de Louis Segond : celui « qui craint l’Éternel ».
Nous avons donc un beau projet, qu’il convenait bien de se remémorer en ce début d’une nouvelle année d’activités et de rencontres. Ce projet, c’est nous ! Le projet de Dieu pour nous, c’est nous ! Mais pas nous tels que nous sommes… Nous tels que nous serons « édifiés » en « maison spirituelle », amis les uns des autres parce qu’amis de Dieu, témoins du Christ-Temple au milieu de nos parents, voisins et amis et du monde entier. Nous ne nous y épuiserons que si nous prétendons faire sans Dieu, à notre idée, avec nos moyens. Nous y serons victorieux et joyeux si nous nous appuyons sur Dieu, si son Esprit nous conduit sans que nous ne nous mettions nous-mêmes en travers, car nous y sommes nos pires ennemis ! La Maison de Dieu nous attend, nous la constituons nous-mêmes ! Elle est l’œuvre du Christ, son corps, sa vie qu’il nous a donnée. Nous avons sa parole, nous avons sa promesse que nous bâtirons cette maison si lui la bâtit. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes choses vous seront données en plus… » (Matth. 6 / 33) Suprême effort : il faut juste que nous nous en remettions à lui !
Chouraqui traduisait le mot « heureux » par « en marche ! » ; ce mot qui ouvre les Béatitudes (Matth. 5 / 3-11) se retrouve trois fois dans les psaumes de ce matin. Prenez-le-donc pour vous, pour nous tous, dans l’une ou l’autre traduction, celle qui vibre en vous, afin de bâtir ensemble notre année, notre Église. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 25 septembre 2022