Ésaïe 12

texte :  

Tu diras en ce jour-là :

« Je te célèbre, ô Éternel ! Car tu as été en colère contre moi,

La colère se détournait et tu me consolais.

Voici le Dieu de mon salut,

J’aurai confiance et je n’aurai pas peur ;

Car ma force et le psaume de l’Éternel, c’est l’Éternel.

Il fut pour moi le salut. »

Et vous puiserez de l’eau avec allégresse aux sources du salut.

 

Et vous direz en ce jour-là :

« Louez l’Éternel ; invoquez son nom,

Faites connaître ses hauts faits parmi les peuples,

Rappelez que son nom est sublime.

Psalmodiez en l’honneur de l’Éternel,

Car il a fait des choses magnifiques :

Qu’elles soient connues par toute la terre ! »

 

Pousse des cris de joie et de triomphe, habitante de Sion !

Car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël !

 

premières lectures :  Évangile selon Luc 17 / 11-19 ; Épître aux Romains 8 / 14-17

chants :  42-02 et 36-19

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prédication :

 

Que se passera-t-il le jour du retour d’Israël de la Déportation vers la Terre qui lui avait été promise ? C’est ce qu’évoque ce passage d’Ésaïe, qui ne parle pas d’un Israël ethnique ou politique, mais d’un Israël croyant, de ceux que la partie centrale du livre appellera le « reste ». Je vous invite donc comme d’habitude à considérer que ce texte s’adresse à toi, « habitante de Sion », fidèle de Jésus-Christ au sein de son Église, membre du peuple de Dieu. Et à ne pas y chercher une révélation sur l’actuel État d’Israël, État laïque qui ne chante en rien les louanges de l’Éternel…

 

Ceci étant posé, que nous dit donc notre Dieu à travers le prophète ? Il nous appelle à la louange. C’est dit. Fin de la prédication. Non ? Alors quelle louange ? En fait, c’est plutôt une action de grâces, non pas une louange pour dire à Dieu merci de ce qu’il est, mais plutôt merci de ce qu’il a fait, de ce qu’il a fait pour moi, pour nous, concrètement. On imagine bien cela au moment du retour d’Exil de ceux qui étaient en Assyrie ou à Babylone… Mais bizarrement ce passage ne parle pas des empires qui avaient déporté Israélites et Judéens. L’action de grâces ne semble donc pas être un remerciement pour le retour des Exilés. Il y a un motif plus important, qui recouvre aussi ce retour, mais le dépasse largement tant en importance que par le sujet qu’il recouvre.

 

C’est le tout début du chapitre qui le mentionne, la partie qui, au moins de manière rhétorique, dit « tu diras » au singulier, touchant à la fois l’individu et le groupe. « Tu as été en colère contre moi ! » Ainsi le croyant ou le peuple croyant s’adresse-t-il à son Dieu. C’est donc le premier mouvement de la « célébration », de la louange. Reconnaître qu’on a été minables au point que Dieu en ait été mis en colère contre nous. Car sa colère n’est pas arbitraire, elle n’est pas le fruit d’un caprice ou d’une incompréhension. C’est nous qui l’avons mis en colère en désobéissant à sa parole, en la négligeant, en n’en faisant rien dans notre vie ordinaire. Nous avons été lépreux, et Dieu s’est éloigné de nous et nous a punis – certes comme on punit un enfant pour le faire grandir, mais quand on est l’enfant en question, on ne saisit bien que la douleur causée par ce qui semble être un rejet… Pour le « reste d’Israël », pour les fidèles, les coupables des Exils successifs et de la destruction de Jérusalem ne sont donc ni les Assyriens ni les Babyloniens, mais les Israélites et les Judéens eux-mêmes, par leur péché.

 

Mais quand le temps de l’épreuve sera arrivé à son terme, alors, dit le prophète, « tu diras… » etc. Car alors apparaît clairement au pécheur repentant que c’est Dieu qui était à l’œuvre, et que maintenant il agit dans l’autre sens, comme là encore un parent qui console son enfant après l’avoir puni comme il le méritait. Dieu, le même qui avait été en colère « contre moi », se manifeste désormais pour ce qu’il est : « le Dieu de mon salut » ! À la confession du péché succède la reconnaissance du pardon accordé et la confession de la foi. Ce qui permet de repartir plein de confiance et sans plus aucune crainte. Non ? N’est-ce pas ainsi que vous repartez du culte, après vous être reconnus coupables devant Dieu, avoir constaté qu’il était revenu vers vous, et l’en avoir remercié ? Car le but de notre liturgie n’est pas de dire ce qu’il faut au moment où il faut, mais de nous permettre à chacun, à travers les paroles prononcées et chantées, de se replacer en vérité devant Dieu et d’en sortir allégé, heureux, confiant. Et ce nono pas pour que la fin du culte se passe bien, mais afin que la vie dehors se passe bien !

 

Le jour où nous constatons que Dieu nous a sauvés, alors cela nous rend capables de vivre sans peur quels que soient les événements de l’existence, les bonheurs et les malheurs, les peines et les joies. Sans peur de Dieu, bien sûr, car alors nous avons éprouvé qu’il est notre Père, comme nous l’en prions souvent. Sans peur de nous-mêmes, car nous ne sommes pas au bénéfice de notre piété, de notre morale, de nos efforts, mais au bénéfice de l’amour renouvelé de Dieu : c’est lui mon sauveur, pas moi ! Et puis sans peur des autres. Comme l’apôtre Paul l’écrira : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rom. 8 / 35) Car Dieu n’a pas été pour nous une fois dans le passé, que ce soit le passé de l’Histoire ou le passé de notre propre vie. Mais il est constamment pour nous, il a été notre Sauveur afin que nous soyons définitivement sauvés, pas pour qu’il ait besoin de nous « re-sauver » sans cesse. Il est sans cesse celui qui nous maintient dans son salut offert une fois pour toutes.

 

Au point que non seulement je le loue à cause de ça, mais au point qu’il est lui-même sa propre louange dans ma vie. Le texte hébreu est clair. Il ne dit pas « l’Éternel est ma force et mon chant », comme on traduit souvent, mais « ma force et le psaume de l’Éternel, c’est l’Éternel ! » Dans ma vie en tant que sauvé par lui, il se rend témoignage à lui-même. Non seulement il me rend fort, mais il m’intègre à la relation entre lui et lui. L’apôtre Paul écrira : « De même aussi l’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables ; et celui qui sonde les cœurs connaît quelle est l’intention de l’Esprit : c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints. » (Rom. 8 / 26-27) Il en est de même de la repentance, de la certitude du salut, de la louange confessante : elles sont l’œuvre de Dieu. Là-même où je pourrais croire que je réponds à Dieu, c’est lui-même qui parle à lui-même en moi. Il en est ainsi de la foi, de la confiance en lui : elle n’est pas mon œuvre, mais la sienne. Ainsi est-il « pour moi le salut » !

 

Je vous disais que ce salut ne servait pas au culte liturgique, mais à la vie de tous les jours. C’est la deuxième partie du chapitre, celle en « vous », qui l’exprime bien, à mon sens, et dès sa première phrase : « vous puiserez de l’eau avec allégresse aux sources – ou aux fontainesdu salut. » Nous abreuver du salut offert gratuitement par Dieu par amour pour nous, ses enfants. User et, pourquoi pas, abuser, de cet amour reçu. Il faut en dépasser la confession de foi, pour en faire quelque chose, pour le laisser faire quelque chose en nous. Et ce quelque chose, ici, consiste en un changement non pas dans la morale de mon existence, mais dans l’orientation de ma louange. Elle devient le moyen de « faire connaître ses hauts faits parmi les peuples », etc. Rappelez-vous, dans la prison de la ville de Philippes, capitale de la Macédoine : « Vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et chantaient les louanges de Dieu, et les prisonniers les écoutaient. Tout à coup il se produisit un grand tremblement de terre, au point que les fondements de la prison furent ébranlés ; au même instant, toutes les portes s’ouvrirent, et les chaînes de tous se détachèrent. » (Actes 16 / 25-26)

 

Paul et Silas n’intercédaient pas, ni n’imploraient leur libération. Eux qui, chrétiens, se savaient sauvés par Dieu en Jésus-Christ, ils le louaient de manière à être entendus des prisonniers, et la conséquence de cette louange fut que « les chaînes de tous se détachèrent… » Ils n’ont pas fait semblant de louer Dieu, sinon ça n’aurait pas « marché » ! Leur louange véridique a été l’occasion de la libération de leurs auditeurs. Louant le Dieu de Jésus-Christ, il sont fait connaître « ses hauts faits », à savoir la mort et la résurrection de Jésus, et ils ont rendu témoignage à son « nom sublime », puisque « Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, des célestes, des terrestres et des souterrains, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. » (Phil. 2 / 9-11)

 

Ainsi, ce que la Bible nous montre, ce que le texte biblique de ce matin nous dit et nous demande, c’est que, si le salut conduit à la louange, celle-ci conduit non pas à la morale mais au témoignage. La louange n’est pas un exercice solitaire ni même communautaire, elle n’est pas pour notre propre bénéfice de croyant ou d’Église, mais s’adressant à Dieu, elle témoigne de ce qu’il a fait pour nous auprès d’autres personnes, afin que ce salut de Dieu les atteigne elles aussi. « Car il a fait des choses magnifiques », il a mis le Christ en nous, tout comme il a fait pour Marie d’une autre manière, et elle aussi a déclaré : « Le Tout-puissant a fait pour moi de grandes choses. Son Nom est saint ! » (Luc 1 / 49) Et nous avons entendu et reçu ce témoignage que nous nous rappelons tous les ans avant Noël. À nous de témoigner à notre tour par notre louange adressée publiquement à Dieu !

 

La démarche qui ne peut qu’être la nôtre n’est pas celle que nous utilisons habituellement. La plupart du temps, nous remercions Dieu pour les choses agréables de cette vie. Or ces choses arrivent à tout un chacun au milieu d’autres choses désagréables, au sujet desquelles nous l’implorons. Or la foi ne fait rien à ces choses, sauf à reconnaître que les choses désagréables nous arrivent peut-être parce que nous n’avons pas vécu la communion avec notre Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ. Ce n’est pas à cause de ce qui nous réjouit humainement que nous devons remercier Dieu, mais à cause de son pardon et de son salut que nous ont acquis la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Et nous devons l’en remercier au milieu des bonnes choses et au milieu des mauvaises, comme Paul et Silas en leur prison, dans la confiance et non dans l’inquiétude. Le faisons-nous en vérité ? Peut-être l’exercice de notre foi pourrait s’y appliquer, plutôt qu’à gémir, à nous enfermer en nous-mêmes ou dans nos temples, ou à nous efforcer de vivre les bonheurs et les solidarités de tout le monde – ce qui vient en principe tout seul et n’offre à personne un quelconque intérêt particulier…

 

La mission de l’Église et des chrétiens reste le témoignage rendu à l’Évangile et au salut en Jésus-Christ seul, et ce témoignage ne consiste donc ni en morale ni en doctrine, mais en louange. « Car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël ! » Oui, Dieu est saint, et nous sommes revêtus de sa sainteté, nous sommes à lui, nous qui ne le méritions pas, mais il nous a graciés à cause de Jésus. Que cela se voie et s’entende certes « par toute la terre », mais la terre commence alors à notre porte, même si elle ne s’y limite pas… Tant de gens souffrent et meurent dans la désespérance, abîmés par le monde ou par eux-mêmes. Paul encore écrivait : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment entendront-ils parler de lui, sans prédicateurs ? Et comment y aura-t-il des prédicateurs, s’ils ne sont pas envoyés ? » (Romains 10 / 13-15) Aujourd’hui Ésaïe nous envoie, tous comme témoins de Jésus-Christ par notre louange, notre action de grâces à celui en qui nous avons le salut et la vie. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  18 septembre 2022

 

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