Épître aux Romains 8 / 1-11

 

texte :

Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ, qui marchent non selon la chair mais selon l’Esprit. En effet, la loi de l’Esprit de vie en Jésus Christ m’a libéré de la loi du péché et de la mort. Car – chose impossible à la Loi, parce que la chair la rendait sans force – Dieu, en envoyant à cause du péché son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair ; et cela, pour que la justice prescrite par la Loi soit accomplie en nous, qui marchons, non selon la chair, mais selon l’Esprit. En effet, ceux qui vivent selon la chair ont les tendances de la chair, tandis que ceux qui vivent selon l’Esprit ont celles de l’Esprit. Avoir les tendances de la chair, c’est la mort ; avoir celles de l’Esprit, c’est la vie et la paix. Car les tendances de la chair sont ennemies de Dieu, parce que la chair ne se soumet pas à la Loi de Dieu, elle en est même incapable. Or ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent plaire à Dieu. Pour vous, vous n’êtes plus sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit de Christ, il ne lui appartient pas. Et si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

 

premières lectures :  Évangile selon Jean 14 / 15-27 ; Actes des Apôtres 2 / 1-21

chants :  35-14 et 42-03

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prédication :

 

Notre théologie est trinitaire : nous confessons un seul Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Les deux premiers textes nous en rappellent le fondement, dans la promesse faite par Jésus et son accomplissement lors de la « fête des Semaines », la Pentecôte 50 jours après Pâques. Mais pour vous et moi comme pour tout le monde, qu’est-ce que ça veut dire, qu’est-ce que ça implique ? On ne va pas se faire une dispute théologique, n’est-ce pas ?! D’autant que nous n’en comprendrions pas tous les termes. Et puis, le Saint-Esprit ne se laisse pas enfermer dans des définitions. Le Père et le Fils non plus, d’ailleurs, mais c’est une autre question… !

 

Si vous avez quelques rudiments de physique, vous savez que tous les corps sont attirés les uns vers les autres, non pas par amour hélas, mais à cause de la gravitation justement dite universelle. C’est l’histoire de Newton et de la pomme… Vu depuis la surface de notre planète, ça veut dire que nous sommes attirés vers le bas, vers le centre de la terre. – À notre échelle, oublions Einstein… – Mais permettez-moi de poursuivre avec cette image scientifique, qui convient bien. Une seule réalité nous empêche de descendre jusque tout en bas et d’être détruits par la gravité intense qui y règne, c’est le sol qui se trouve sous nos pieds. Celui-ci vient-il à manquer, ou à s’affaisser lui-même, nous dégringolons donc encore plus bas. Et dans l’autre sens, si nous voulons nous affranchir de cette gravité qui nous cloue au sol, il n’y a qu’un moyen : disposer d’un véhicule dont le dispositif ou la vitesse de décollage nous permet de nous envoler – oh ! bien modérément. Il y a alors lutte entre deux forces de directions différentes, et nous subissons simplement la résultante des deux au lieu de la seule gravité.

 

Bon. À défaut de théologie, je ne vais pas vous faire à la place un cours de physique ! La question que nous pose concrètement l’apôtre Paul ce matin, c’est de savoir si nous sommes soumis à la seule gravitation, ou alors si une autre force nous en libère. Ou bien : sommes-nous condamnés à tomber, ou alors y a-t-il moyen de nous envoler ? Vous allez me dire : oui, mais il y a le sol, le plancher des vaches et le nôtre ! Et heureusement ! Quoique… Ramper plutôt que tomber, un bel idéal ! Et vous savez tous combien cette protection peut être fragile ou illusoire. Combien de situations, personnelles, addictives, sociales, sanitaires, etc., ne nous donnent-elles pas l’impression que « le sol se dérobe sous nos pas », comme on dit ? Et souvent ce n’est pas qu’une impression, il arrive qu’on ne s’en relève pas, qu’on tombe « au fond du trou ». Toutes ces expressions disent bien la réalité, elles ne sont imagées qu’en apparence : nous sommes attirés vers le bas, et c’est ce que Paul appelle la chair et le péché : la chair, c’est notre réalité en tant que nous sommes attirés vers le bas par la gravitation, et le péché, c’est qu’on y va tout droit !

 

Dans l’Ancienne Alliance entre Dieu et Israël, Dieu avait donné en quelque sorte un garde-fou, un terrain un peu solide : sa Loi, ses commandements. Leur pratique devait permettre aux croyants, et au peuple croyant, de marcher sans tomber dans le précipice. Las ! Qui donc a jamais pratiqué la Loi de Dieu dans le respect de l’esprit de cette loi, sans en tirer orgueil et suffisance, par seul amour de Dieu et du prochain ? « La chair la rendait sans force », écrivait Paul. La Loi faite pour marcher en toute sécurité a été le moyen-même de notre chute, comme Paul l’explique au début de la même épître aux Romains, parce que nous l’avons prise comme un moyen de nous élever. Mais elle ne peut pas accomplir cela. Si nous sommes sportifs, le sol peut nous amener au sommet des montagnes, mais sûrement pas dans les étoiles ! Et nombreux sont les pièges qu’il comporte, visibles ou cachés : les failles, les cailloux, les sols glissants, etc. Nous le savons, puisque c’est ce sur quoi nous marchons pendant toute notre vie !

 

Un rabbin expliquerait la meilleure manière de marcher sur ce sol, la meilleure manière d’observer la Loi de Dieu, de « garder ses commandements ». Mais l’apôtre Paul n’est plus un rabbin, c’est un prédicateur de l’Évangile ! Or l’Évangile n’est pas une Loi, l’Évangile ne nous dit pas comment marcher – au grand dam de beaucoup de gens qui attendent ça, qui n’attendent que ça… L’Évangile nous parle de nous envoler ! Voilà bien pourquoi, lorsqu’il est prêché, il n’attire pas grand monde, finalement : nous envoler, cela fait peur. Et très vite ceux qui le font se reconstruisent une Loi, un sol sur lequel marcher, une fusée ou une navette spatiale bien sécurisée… Ils vous disent pour qui voter, comment vous conduite « en bon chrétien », quelles stratégies envisager pour la paroisse, pour la mission, pour les finances… Les amateurs d’astronautique ou de science fiction savent bien qu’à bord d’un vaisseau spatial, on reconstitue une gravitation afin d’être à nouveau attiré vers le bas, même si ce n’est plus le même…

 

Mais je ne voudrais pas vous parler de cet échec de l’Évangile sur ceux-là-même qui l’ont reçu. Mais de comment cet Évangile a pris réalité dans le monde et pour nous. C’est comme si cela s’était passé en deux temps : le sol sous nos pas a été crevé, et un souffle nous a pris afin que nous ne tombions pas, mais qu’avec lui nous puissions voler. La fin de la Loi et du péché, c’est Jésus Christ, c’est sa mort qui nous a donné la vie que nous ne méritions pas. Et le souffle, au sens propre, c’est l’Esprit que le Père nous a envoyé au nom de Jésus. Car si en français nous avons deux mots, et même trois : souffle, esprit avec une minuscule, Esprit avec une majuscule, en grec il n’y en a qu’un seul. Le Saint-Esprit, c’est le souffle de Dieu, non pas celui qui donne la vie à tous les êtres vivants, mais celui qui donne la vie éternelle à ceux qui adhèrent au Christ ressuscité : « la vie et la paix », écrit Paul ! Éclairés par l’Évangile, nous ne pouvons que constater qu’il n’y a pas deux solutions, mais une seule, pour nous autres qui savons que le sol sous nos pas n’était qu’une illusion désormais dissipée : le Christ ressuscité, ou alors nous sommes morts… Comme Paul l’écrivait ailleurs : « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés. […] Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les humains. » (1 Cor. 15 / 17. 19)

 

Cette résurrection du Christ, cette victoire du Christ sur la mort, n’est pas seulement une réalité théologique, mais bien concrète, et c’est l’Esprit saint, justement, qui nous la rend concrète. Car la victoire du Christ sur la mort, sur le péché, sur la gravitation !, c’est sa victoire pour nous, en nous. Encore faut-il que nous nous envolions pour vivre de sa vie ! Et ça, ce n’est pas nous qui le pouvons, ni même qui pouvons imaginer en quoi ça consiste : c’est le Saint-Esprit qui le fait. C’est lui qui nous fait vivre de Christ, en Christ. Sans lui, je le redis avec Paul, nous sommes morts : notre pauvre existence clouée au sol n’a pas d’autre issue, que nous soyons bons ou mauvais. Rappelez-vous l’Ecclésiaste : « Le sort des humains et le sort de la bête ne sont pas différents ; l’un meurt comme l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’être humain sur la bête est nulle ; car tout est vanité. Tout va dans un même lieu ; tout provient de la poussière, et tout retourne à la poussière. » (Eccl. 3 / 19-20)

 

Bien sûr, les humains préfèrent ne pas le voir, pas le savoir. Les « grands » s’imaginent être au-dessus de ça, que ce sort est réservé à ceux qu’ils regardent comme des pauvres, des médiocres, des moins que rien. Mais eux, sont-ils autre chose ? Ce qui fait la différence n’est pas en nous, mais en Christ. Ce qui nous emmène vers une autre destination, c’est la justice de Dieu accomplie en Christ : en lui, Dieu nous regarde comme justes et non plus des humains pécheurs que nous sommes pourtant toujours, il nous regarde comme ses enfants et nous aime comme ses enfants. Ce qui en nous reste prisonnier de la gravitation, c’est-à-dire du péché, ce qui en nous continue de dégringoler, tout cela va mourir et disparaître. Heureux serons-nous si cela disparaît durant notre vie, afin d’en être allégés, libérés, dès maintenant ! Mais cela disparaîtra de toutes façons.

 

Mais quant à nous, fils et filles de Dieu à cause de Jésus, nous ne disparaîtrons pas, au contraire ! La puissance de vie qui est en Christ ressuscité et que l’Esprit saint nous communique, cette puissance nous ressuscitera à notre tour. Si l’Esprit, le souffle de Dieu, nous prend avec lui et nous fait décoller, je vous l’ai dit, ce n’est pas pour nous faire végéter dans un vaisseau spatial, mais pour que nous puissions voler avec ses propres ailes à lui ! Vous voyez : même les expressions populaires ne peuvent rendre compte d’une telle réalité… ! Trop souvent nous pensons la liberté chrétienne comme la liberté des humanistes : nous pouvons faire ce que nous voulons, sauf ce qui embête les autres, et ainsi être de bons citoyens. Mais non. C’est bien plus que ça. La liberté chrétienne, celle que donne le Saint-Esprit qui nous fait vivre de la vie de Christ ressuscité, c’est la liberté se servir et d’aimer sans entraves, sans se soucier de soi, de ce que ça permet ou de ce que ça rapporte.

 

Vous rappelez-vous la chanson d’Hervé Cristiani il y a 40 ans ? « Il met de la magie, mine de rien, dans tout ce qu’il fait / Il a le sourire facile, même pour les imbéciles / Il s’amuse bien, il n’tombe jamais dans les pièges / Il s’laisse pas étourdir par les néons des manèges / Il vit sa vie sans s’occuper des grimaces / Que font autour de lui les poissons dans la nasse / Il est libre Max, il est libre Max / Y’en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler… » Eh bien voilà, c’est vous, c’est vous lorsque le souffle divin vous prend avec lui, ou bien vient en vous, c’est pareil, et qu’une qualité de vie inouïe, inouïe même par vous, prend forme en vous et à travers vous. Pentecôte, ce ne sont pas tant des flammes de feu qui sont venues sur les apôtres il y a 20 siècles. Pentecôte, c’est le jour où chacun de nous et où notre Église prenons notre envol, afin que l’amour dont Jésus nous a aimés devienne manifeste et que d’autres, que nous ne connaissons pas, le reçoivent et en vivent à leur tour. Comme le prophétisait Ésaïe à notre égard : « Voici : tu appelleras une nation que tu ne connais pas, Et une nation qui ne te connaît pas accourra vers toi, À cause de l’Éternel, ton Dieu, Du Saint d’Israël, Qui te donne ta splendeur. » (És. 55 / 5) Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  5 juin 2022

 

 

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