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Évangile selon Luc 16 / 13 – 17 / 5
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texte :
« […] Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. » Les Pharisiens, qui aimaient l’argent, écoutaient tout cela et raillaient Jésus. Il leur dit : « Vous, vous êtes ceux qui se font passer pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs ; car ce qui est élevé parmi les hommes est une abomination devant Dieu. Jusqu’à Jean, c’étaient la Loi et les Prophètes ; depuis lors, le royaume de Dieu est annoncé comme une bonne nouvelle, et chacun use de violence pour y entrer. Il est plus facile pour le ciel et la terre de passer, que pour un seul trait de lettre de la Loi de tomber. Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et quiconque épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère.
Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie. Un pauvre couvert d’ulcères, du nom de Lazare, était couché à son portail ; il aurait désiré se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; même les chiens venaient lécher ses ulcères. Le pauvre mourut et fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche aussi mourut et fut enseveli. Dans le séjour des morts, il leva les yeux ; et, en proie aux tourments, il vit de loin Abraham et Lazare dans son sein. Il s’écria : “Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau et me rafraîchisse la langue ; car je souffre dans cette flamme.” Abraham répondit : “Enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie et que de même Lazare a eu les maux, maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. En plus de tout cela entre nous et vous se trouve un grand abîme afin que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne puissent le faire, et qu’on ne parvienne pas non plus de là vers nous.” Le riche dit : “Je te demande donc, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père ; car j’ai cinq frères. Qu’il leur apporte son témoignage, afin qu’ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourment.” Abraham répondit : “Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent.” Et il dit : “Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils se repentiront.” Et Abraham lui dit : “S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts.” »
Jésus dit à ses disciples : « Il est impossible qu’il n’arrive pas des occasions de chute, mais malheur à celui par qui elles arrivent ! Il serait plus avantageux pour lui qu’on lui mette au cou une pierre de moulin et qu’on le lance dans la mer, que s’il était une occasion de chute pour l’un de ces petits. Prenez garde à vous-mêmes. Si ton frère a péché, reprends-le, et, s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il pèche contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi, en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. » Les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente-nous la foi. »
premières lectures : Psaume 146 ; Première épître de Jean 4 / 14-21
chants : 427 et 416 (Arc-en-ciel)
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prédication :
Chers amis, l’évangéliste Luc a l’art de la composition : il enchaîne parfois des versets qui, ailleurs, se trouvent dans des contextes différents, et la raison de leur mise ensemble ne nous paraît pas toujours évidente. Pourquoi parle-t-il de Jean-Baptiste, de violence, de divorce, avant de citer la longue parabole dite du riche et du pauvre Lazare, qui est le texte proposé pour aujourd’hui dans la liste alsacienne que je suis ordinairement, tout comme votre pasteur ? C’est sur cette parabole que je voulais donc m’arrêter avec vous ce matin ; mais les autres sujets, en à peine une phrase chacun, se trouvent dans le même échange verbal. Jésus vient de dire qu’ « on ne peut pas servir Dieu et Richesse » (Luc 16 / 13), et les Pharisiens se moquent de lui. La réponse de Jésus est cinglante : ils sont « une abomination devant Dieu ». Ils sont les serviteurs de l’idole, du faux-dieu mensonger, comme tous ceux qui adorent « ce qui est élevé parmi les humains ».
C’est la conclusion du texte qui précède, mais cela introduit bien le nôtre : la richesse, ce n’est pas le fait d’avoir une grande quantité d’argent, mais de mettre sa confiance dans l’idole, de mettre son énergie dans le service de l’idole, dans la course pour la grandeur, dans ce que Salomon appelait « la poursuite du vent » : « le souci de recueillir et d’amasser » (Eccl. 2 / 26), manifestation de la « jalousie de l’homme à l’égard de son prochain » (4 / 4). On peut aussi être riche, dans ce sens-là, au niveau spirituel, cherchant à toujours faire plus et mieux pour obéir à Dieu et à ses commandements. C’est comme l’histoire de ce Pharisien qui priait en se félicitant « de ne pas être comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. » (Luc 18 / 11) Riche sans doute, il devait l’être, pieux aussi, mais plus riche encore de ses propres œuvres, plus fier de lui que fier de Dieu. Il se servait de la Loi et des Prophètes, c’est-à-dire de la Bible, pour se justifier devant Dieu et les hommes. L’idolâtrie, sous une forme ou sous une autre, c’est toujours de s’adorer soi-même à la place de Dieu !
Bien sûr, nous ne nous porterions pas plus mal, ni au niveau spirituel ni au niveau diététique, à commencer par votre serviteur, à jeûner deux fois par semaine. Et le Conseil presbytéral apprécierait sans doute que nous lui donnions tous la dîme, c’est-à-dire 10 %, de nos revenus… Certains peut-être le font, d’ailleurs, sans forcément le crier sur les toits ni le prier contre les autres. Mais la question n’est justement pas là. On peut se servir de la Bible pour ses petites affaires, on peut utiliser le texte biblique pour ses propres égoïsmes, ses propres projets, ses propres divorces, ses propres bonnes consciences. L’Église elle-même peut faire ainsi. Mais la Bible résiste. Elle témoigne contre nous et notre idolâtrie, notre soif de puissance et d’autojustification. Regardez : « il y avait un homme riche… »
Regardez. Ne cherchez ni à vous justifier ni à vous condamner, ne cherchez pas les responsabilités politiques ou psychologiques, ne cherchez pas à noyer le poisson par des raisonnements spécieux. Ici, il n’y a ni conformisme social ni critique révolutionnaire, mais deux hommes, tels que la terre en porte, l’un riche et bien portant, l’autre pauvre et malade. C’est une caricature ? Oui, c’est normal, c’est une histoire édifiante, c’est un conte. Il dit le vrai. Écoutez. Regardez. L’homme riche et le pauvre Lazare meurent l’un comme l’autre. Enfin, pas vraiment « comme… » Le pauvre est entouré : les anges, Abraham ; tandis que le riche est seul, enseveli. On reste dans l’imagerie enfantine – ne cherchez pas ici à savoir à quoi ressemblera la vie après la mort ! Et dans cette imagerie, le riche brûle en enfer, il se retrouve dans la situation qui fut celle de Lazare durant sa vie… Ce qu’Abraham lui confirme.
Le riche, il voudrait bien que tout continue comme avant, bien sûr ! Que Lazare soit son esclave, que lui-même reste le centre de son petit monde. Mais ceci a disparu. Dans « l’autre monde », qui montre la réalité des choses, personne n’est l’esclave de qui que ce soit, personne n’est le maître de qui que ce soit. On n’y adore plus les idoles, il n’y a plus ni richesse ni pauvreté. Mais des heureux et des malheureux, oui. Et l’ancien riche comprend – et nous aussi, n’est-ce pas ? – qu’il ne s’agit pas d’un renversement, mais d’un dévoilement. Ceux qui se croyaient riches sont, en fait, des malheureux. Et L’homme pense à ses cinq frères, dont on comprend qu’ils sont comme lui était : il faut donc les prévenir ! Il faut leur dévoiler leur vraie condition, puisqu’ils ne sont pas capables de la voir tout seuls. Il faut leur dire que leurs existences sont basées sur du vent, du vide ; que leurs priorités sont des mensonges ; que leurs gloires sont du toc…
« Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent. » Ils ont la Bible. Ils n’ont qu’à la lire. Ou plutôt, eux qui la lisent, ils n’ont qu’à suivre ce qu’ils lisent. Ils y verront l’histoire d’une aliénation entre Dieu et les humains, et l’histoire d’une libération des humains par Dieu. C’est Moïse, la Loi, les cinq premiers livres. Ils y verront la longue défaite de leur propre peuple à cause de son infidélité, mais aussi tous les efforts incessants de Dieu pour corriger ce peuple comme on corrige un enfant qu’on aime, afin qu’il grandisse quand même, afin qu’il puisse être heureux quand même. Et ce sont les Prophètes. Ils y chanteront et y réfléchiront la condition humaine au cœur du monde et devant Dieu, à travers les Psaumes et les autres Écrits. Il y a dans la Bible – dans notre Ancien Testament – tout ce qu’il faut pour être heureux, au service de Dieu et de ses frères dans la « glorieuse liberté des enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21).
Ce jugement sur sa propre vie, le riche l’entend, mais c’est trop tard pour lui. Oui, quand on est mort, c’est trop tard pour tout… Il l’entend donc pour ses frères, et il sait bien que, dans la Bible, comme lui, ils ne cherchent que leur propre gloire, leur propre réussite, et non pas la gloire de Dieu, et non pas la dignité des pauvres. Pourtant Moïse écrivait ceci : « Garde-toi d’avoir un œil sans pitié pour ton frère pauvre et de ne rien lui donner. Il crierait à l’Éternel contre toi, et tu te chargerais d’un péché. Fais-lui un don, et que ton cœur ne lui donne pas à regret ; car, à cause de cela, l’Éternel, ton Dieu, te bénira dans tous tes travaux et dans toutes tes entreprises. Il ne manquera pas de pauvres au milieu du pays ; c’est pourquoi je te donne ce commandement : tu devras ouvrir ta main à ton frère, au malheureux et au pauvre dans ton pays. » (Deut. 15 / 9-11)
Mais hélas, les esclaves des idoles ne savent pas se passer d’idole ! Le mot « esclave » n’est donc pas trop fort, mais très réaliste. Ils ont besoin d’un miracle ? Ils ont besoin que Jésus ressuscite Lazare ? (cf. Jean 11) Ils ont besoin que Jésus ressuscite d’entre les morts ? Ceux qui ont la Bible et qui vivent comme des païens se contenteront peut-être d’acclamer Jésus avec des rameaux après qu’il aura ressuscité Lazare, mais ce sont les mêmes qui le feront crucifier quelques jours après. Et ceux qui entendront parler de la résurrection de Jésus voudront obliger ses disciples à se taire (Actes 4 / 18) et les persécuteront. Non, la Bible est incontournable pour « comprendre quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et [pour] connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance » (Éph. 3 / 18-19). La Bible nous dévoile le Christ, elle ne peut pas servir à autre chose, elle ne peut pas servir de paravent à nos doctrines, à nos morales, à nos envies.
Cela, frères et sœurs, nous le savons. Nous le savons, mais nous y tombons, nous fait remarquer l’Accusateur. Nous y tombons, mais nous le savons, alors nous pouvons ainsi nous accrocher à Christ, comme les anges messagers de Dieu nous y invitent lorsque nous lisons la Bible. Et ainsi ne plus écouter l’Accusateur, dont la seule puissance est dans notre servilité. Le riche de la petite histoire qui suit a été jeté à la mer, mais vous, « vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre héritée de vos pères, par le sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache », comme écrivait l’apôtre Pierre (1 Pi. 1 / 18-19). Ne retombons donc pas, car c’est là le sens de cet enseignement, dont je vous disais qu’il concerne cette vie et non pas l’au-delà.
Ne retombons pas, car la mission de Lazare vivant, elle est pour nous qui, comme lui, sommes passés de la mort à la vie. Or, dit saint Jean, « nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. » (1 Jean 3 / 14) Cet amour, manière de les prévenir, manière de leur montrer le salut de Dieu et son amour à lui, il consiste en pardon. Et celui-là seul qui se sait pardonné de manière imméritée peut à son tour pardonner ceux qui ne le méritent pas non plus. Entre l’homme riche et le pauvre Lazare, seul Lazare est en situation de le faire. Lui seul d’ailleurs a un nom, lui qui appartient à Dieu puisque, comme l’écrivait le prophète : « Sois sans crainte, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi ! » (Ésaïe 43 / 1) L’homme riche, l’homme qui n’appartient orgueilleusement qu’à lui-même, n’est nommé par personne…
Faut-il en conclure que les pauvres doivent pardonner ? Ce serait une grossière hypocrisie, un profond mépris du texte… et des pauvres ! Le texte ne dit rien de tel. Il dit que vous et moi, si nous sommes Lazare plutôt que des morts anonymes, vous et moi nous avons pour mission d’annoncer le pardon de Dieu, Dieu plus fort que nos idoles, Dieu plus fort que Mammon, Dieu plus fort que la mort. Et annoncer le pardon de Dieu, c’est pardonner aux pécheurs, de sa part. Pardonner, c’est détruire l’idole, c’est nommer mon frère ou ma sœur. Et si l’homme riche a un nom, alors il n’est plus mort, alors il est Lazare, lui aussi, comme moi. Comme moi. C’est-à-dire que, comme moi, il va sans cesse retomber dans ses péchés, dans son orgueil, dans sa soumission à des idoles d’autant plus exigeantes qu’elles n’ont pas d’autre consistance que notre soumission. Et s’il retombe sans cesse, faudra-t-il que je pardonne sans cesse ? Seigneur, « augmente-nous la foi. »
Car c’est bien là notre mission, surhumaine, possible à Dieu en nous, mais pas à nous sans lui. Nous nous demandons toujours comment évangéliser. La réponse est ici d’une limpidité extraordinaire : « tu pardonneras ». Parce que c’est ce pardon qui nous constitue, nous qui l’avons reçu. Sans lui, si nous pensons n’en avoir pas besoin, c’est que nous sommes riches, c’est que nous sommes morts. Pardonnés, ressuscités comme Lazare – dont le nom veut dire que « Dieu aide, Dieu secourt » – nous allons pouvoir aider et secourir, nous aussi, nos frères et sœurs. Car bien sûr, ces gens sont nos frères et sœurs à nous, nous qui étions l’homme riche, et qui maintenant sommes Lazare, pour toujours. Dépêchons-nous… Amen.
Lunéville – David Mitrani – 19 juin 2022