Jonas 3 / 1 – 4 / 1

 

texte :  Jonas 3 / 1 – 4 / 1

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prédication :

 

« Lève-toi, va vers Ninive, la grande ville, et proclame vers elle la proclamation dont moi, je t’ai parlé. » Frères et sœurs, l’ordre est évidemment pour nous autres qui, tels des colombes, sommes soulevés par le Souffle de Dieu et envoyés là où il nous mène pour y dire sa Parole. Je ne reviens pas sur le fait que nous préférerions partir à l’opposé et dormir au fond de la barque, voire nous faire bouffer par le gros poisson, plutôt que d’obéir vraiment. Ça, c’était le chapitre premier, et maintenant nous en sommes au troisième ! Nous sommes, nous, comme Jonas, ressuscités et envoyés de nouveau. Ne revenons pas en arrière, ni ne culpabilisons inconsidérément ! Nous avons bien assez à faire avec ce chapitre-ci, avec cette étape-ci de notre vie chrétienne…

 

La question que je vous soumets, c’est : comment obéir à cet ordre divin, sans aboutir à la chute du chapitre 4 dont je ne vous ai lu que le premier verset : « Et Jonas prit mal, grand mal, et il se fâcha » ? Comment obéir à Dieu et proclamer la Parole pour laquelle il nous a lui-même parlé sans être finalement déçus, fâchés, démontés, par ce qu’il va faire, lui, suite à notre proclamation ?

 

Un premier élément de réponse viendrait sans doute plus vite si nous comprenions quelle est la volonté de Dieu ! Non pas seulement « qu’est-ce que Dieu veut que nous disions », mais aussi « dans quel but Dieu nous envoie-t-il précisément là avec cette parole-là » … Bon. Sans doute Jonas l’avait-il compris et c’est pour ça qu’il ne voulait pas y aller – c’est en tout cas ce qu’il va dire au chapitre suivant. C’est une autre question. Mais le point de départ, c’est d’être accordé à la volonté de Dieu, c’est d’apprendre – dans la méditation des Écritures sous l’éclairage du Saint-Esprit – c’est d’apprendre quelle est notre mission non pas seulement par rapport à nous – vision égocentrique du témoignage chrétien et de l’évangélisation – mais par rapport à Dieu et aux destinataires du message. Car finalement, nous qui sommes des « anges », des messagers, nous ne comptons pas, contrairement à ce que pensait M. Jonas ! Entre celui qui écrit une lettre et celui qui la lit, va-t-on se préoccuper du facteur, sauf bien sûr s’il ne distribue pas le courrier, comme au début du livre !?

 

Porter un message qui ne nous regarde pas, mais bien le porter, de telle sorte qu’il soit reçu selon le désir de l’expéditeur, voilà notre rôle. Aujourd’hui, souvent, nous nous préoccupons plutôt du désir du destinataire, et il nous arrive de moduler le message selon ce critère, de l’accommoder à l’esprit du temps, à ce que nous pensons que pensent les destinataires, afin de mieux faire passer le message. Or ce n’est pas du tout ce que Dieu demande à Jonas ! Car, en fait, cela reviendrait à vider le message de son contenu sous prétexte d’en changer la forme. Or forme et fond sont liés. Et c’est là que comprendre le désir de l’expéditeur est important, pour bien porter son message à lui et non pas le nôtre à la place. Nous ne sommes pas les porte-parole de l’humanisme universaliste non plus que de la culture « woke », qui malheureusement se portent l’un et l’autre très bien sans nous. « En effet, “Qui a connu la pensée du Seigneur, Pour l’instruire ?” Or nous, nous avons la pensée de Christ. » (1 Cor. 2 / 16)

 

Ce préalable est indispensable. Comme l’apôtre Paul, que je viens de citer, l’écrivait encore ailleurs : « Ayez en vous la pensée qui était en Jésus Christ : lui dont la condition était celle de Dieu, il n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même », etc. (Phil. 2 / 5-7a) C’était sans doute le problème de Jonas : il n’a pas suivi cette exhortation, il a peut-être voulu être « égal avec Dieu », être lui-même le dieu qui condamne, sans laisser Dieu agir selon son projet à lui. Mais « notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu’il veut », chantait le psalmiste (Ps. 115 / 3). Et c’est Jonas qui a pris mal, lui qui « savait que [Dieu] est un Dieu qui fait grâce et qui est compatissant, lent à la colère et riche en bienveillance, et qui regrette le mal », comme il en fera confession un verset plus loin. Voilà la volonté de Dieu telle qu’elle s’exprime dans l’humilité du serviteur, comme Paul l’écrivait, et non dans la superbe du salafiste !

 

Ayant donc compris la volonté de Dieu et l’ayant acceptée – comment sinon être prophète, évangéliste, témoin simplement de ce Dieu ? – c’est maintenant que se pose la question du contenu du message. Penser l’avoir reçu de Dieu pour telle ou telle personne ou pour tel ou tel groupe ne suffit pas. Vais-je annoncer le pardon de Dieu ? Mais pour que les gens le reçoivent il faut bien qu’ils reconnaissent d’abord en avoir besoin, qu’ils se reconnaissent pécheurs – pour le dire avec nos mots à nous. Notez que c’est pareil à chaque culte pour nous autres ! Si la confession de nos péchés n’est qu’une prière rituelle et non vécue comme une vraie repentance par chaque participant, alors le pardon proclamé ne sera pas reçu, et un tel culte n’aura servi à rien. Vais-je alors annoncer la condamnation ? Bibliquement c’est bien le rôle des prophètes, mais c’est en vue de la repentance. Or on ne peut pas tenir les deux discours en même temps. On ne peut pas dire dans le même souffle : « Dieu te condamne », « mais Dieu te pardonne ». Sinon, où est la condamnation, où est le pardon ? Dieu est ravalé au rang de principe céleste… dont les gens n’ont pas besoin !

 

« Est-ce que je désire avant tout la mort du méchant ? – oracle du Seigneur, l’Éternel – N’est-ce pas qu’il se détourne de sa route et qu’il vive ? » (Éz. 18 / 23) Jonas aurait dû le savoir, et nous aussi. Mais pour entendre cette parole de Dieu par un autre prophète, il ne faut pas mélanger ce qui est juste et ce qui est pécheur. Un autre encore écrivait : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien Et le bien mal, Qui changent les ténèbres en lumière Et la lumière en ténèbres, Qui changent l’amertume en douceur Et la douceur en amertume ! » (És. 5 / 20) Jonas a bien raison d’exprimer la condamnation de Dieu sur Ninive, « car leur mal est monté devant moi », disait l’Éternel (Jon. 1 / 2). Et c’est manifestement à son corps défendant que cette proclamation produit l’effet escompté non par lui, mais par Dieu.

 

Or aujourd’hui comme hier, il n’y a pas besoin de chercher Ninive très loin. Laissons la Ninive historique aux archéologues, et la Jérusalem historique, autre Ninive, à qui la veut ; et regardons simplement chez nous. Toute la démarche que ce petit livre nous montre, et tous les versets d’autres prophètes que je vous ai cités, concourent à ceci : nous sommes à Ninive – certes pas au centre, nous n’avons fait qu’un jour de marche et non pas trois ! La prédication chrétienne a retenti. Mais Ninive ne s’est pas convertie, ses grands comme ses bêtes sont dans leurs péchés et en sont fiers. La question reste donc : comment avons-nous ou n’avons-nous pas fait retentir la proclamation divine pour que les oreilles de tous entendent et comprennent, comme celles du roi de Ninive ? Bien souvent nos activités d’Église ont comme but premier l’entretien des troupes, c’est-à-dire de nous-mêmes, et nos évangélisations touchent souvent en premier lieu ceux qui n’en ont pas besoin, qui ont déjà été touchés par le message du Christ par le ministère d’une Église particulière ou d’une autre.

 

Comment annoncer la Parole de telle sorte qu’elle soit entendue, comprise, reçue, qu’elle entraîne la repentance, l’abandon des routes mauvaises, afin que le pardon offert à tous en Jésus-Christ puisse aussi toucher ceux qui en ont besoin, ceux à qui Dieu voulait s’adresser dans ce but ? Je n’ai que la question, pas la réponse, sinon mon Église serait dynamique et nombreuse de ses nouveaux convertis – ce qu’elle n’est pas. Pourquoi notre parole publique, en mots et en actes, semble-t-elle vouloir dire : « venez chez nous, venez nous ressembler » au lieu de dire : « venez à Christ, il vous fera créatures nouvelles » ? Ou pire : « restez chez vous, vous n’intéressez pas Dieu » au lieu de dire : « il a donné sa vie pour vous » ? Dans ce sens nous ne sommes pas des Jonas, nous ne sommes pas des colombes. Simplement nous ne servons à rien, lorsque notre parole est entendue comme ça ! C’est comme si nous étions dans le ventre d’un poisson, loin de tout, loin des autres, loin de notre mission… mais certes pas loin de Dieu, qui ne s’en contente pas, qui ne nous lâche pas, qui n’abandonne pas son projet !

 

Et même si Jonas, au dernier verset que je vous ai lu, est amer du repentir de Dieu, le chapitre que je vous ai lu est une excellente nouvelle – quoique non dénuée d’amertume elle-même si nous cherchions la tranquillité – c’est que Dieu se sert de nous, que nous le voulions ou non, jusqu’à ce que nous le voulions et que nous fassions ce qu’il veut, jusqu’à ce que son projet avance à travers ce que nous sommes, témoins individuels et Églises, même si ce n’est pas notre projet à nous. Alors il pourra nous arriver de voir nos ennemis, nos adversaires, ceux que nous préférerions voir morts – soyons honnêtes – il pourra nous arriver de les voir transformés en frères et en sœurs. À coup sûr ça nous agacera… Ça nous agace déjà quand c’est le cas ! Mais le Christ n’est pas venu, n’est pas mort et n’est pas ressuscité pour nous conforter dans nos idées sur Dieu, sur nous et sur le monde ! Il a donné sa vie afin que le péché soit nommé et détruit, le nôtre comme celui des autres gens !

 

La vie chrétienne consiste en ces deux pôles : que la mort de notre « vieil homme » soit de plus en plus manifestée par l’impact de la parole de Dieu en nous, et qu’à travers notre « homme nouveau » la parole de Dieu, la même, transforme aussi les autres. Dénonciation du péché et salut des pécheurs repentants. Dire à Ninive son péché, son péché par rapport à Dieu, pas par rapport à nos propres idées. Et accueillir avec joie, et non comme Jonas avec amertume, ceux et celles qui se tournent alors vers notre Dieu ; à notre manière à nous ou autrement, qu’importe… C’est comme chez McDo’ : « Venez comme vous êtes », oui, mais là c’est pour être changés, retournés, lavés, revêtus de Christ. Aucun fast food ne le fait, aucune culture du monde ne le fait, pas même la nôtre. Mais l’Esprit du Christ accomplit ces choses, sur les autres comme sur nous. Il nous tourne vers le Christ, et en lui nous apercevons un Père plein d’amour. Oui, mais c’est aussi un Père plein d’amour pour les autres ! Serions-nous jaloux, comme Jonas ?!

 

Frères et sœurs, nous avons une mission, qui est à notre portée. Laissons les missionnaires « professionnels » accomplir la leur, prions pour eux et soutenons-les aussi financièrement si besoin. Mais ne négligeons pas l’appel de Dieu à évangéliser Ninive, la cité du mal, la société aux lois mortifères, le pays où les riches s’enrichissent et où les pauvres s’appauvrissent. Ninive est ainsi depuis toujours, où qu’elle se trouve sur la planète. Et elle attend, sans le savoir, la parole de sa délivrance : non pas une parole politique, encore moins une parole « politiquement correcte », mais une parole de vérité : Dieu ne supporte plus Ninive telle qu’elle est, mais il veut le salut de ses habitants et de ses bêtes ! Que notre parole soit cette parole de vérité, que nos actes témoignent de cette vérité, sans flatterie et sans haine. Car la parole de vérité, dans son exigence-même, est une parole d’amour : elle est Jésus-Christ offert pour le monde. Amen.

 

Raon-l’Étape (avec l’Église mennonite de Baccarat)  –  David Mitrani  –  26 juin 2022

 

 

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