Évangile selon Jean 8 / 2-12

 

texte :

Dès le matin, [Jésus] se rendit de nouveau dans le Temple, et tout le peuple vint à lui. Il s’assit et les enseignait. Alors les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère, la placent au milieu et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse, dans la Loi, nous a prescrit de lapider de telles femmes : toi donc, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur la terre. Comme ils persistaient à le questionner, il se redressa et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre. » De nouveau il se baissa et se mit à écrire sur la terre. Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu’aux derniers, et Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu. Alors Jésus se redressa et lui dit : « Femme, où sont tes accusateurs ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche plus. » Jésus leur parla de nouveau et dit : « Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »

 

premières lectures :  Genèse 50 / 15-21 ; épître aux Romains 12 / 17-21 ; Évangile selon Luc 6 / 36-42

chants :  46-03 et 33-24

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prédication :

 

Beaucoup de gens. Il y a beaucoup de gens, « tout le peuple », sur cette Esplanade qui n’est pas déjà celle des Mosquées, mais encore celle du Temple. Les foules qui se promènent, et celles qui vont prier ou offrir un sacrifice. Mais tous se rassemblent pour écouter Jésus, pour écouter ce Maître et son enseignement. A-t-il quelque-chose à répéter, un commentaire oublié de la Loi de Dieu à nous rapporter, comme font nos autres maîtres pharisiens, qui revendiquent d’avoir appris eux-mêmes de leurs maîtres et ceux-ci de leurs maîtres… et, en passant par les prophètes, ils remontent jusqu’à Moïse, Moïse à qui Dieu a parlé, à qui Dieu a même donné les Tables de pierre, avec les Dix commandements écrits de son propre doigt (Exode 31 / 18) ; Moïse à qui Dieu aurait aussi donné les commandements qui ne sont pas dans la Bible, selon les Pharisiens, une « Loi orale »… Jésus les connaîtrait-il ?

 

Revenons sur la place, sur l’Esplanade : beaucoup de gens, trop de gens. Elle, elle est seule. Prise en flagrant délit d’adultère, mais elle seule est amenée. Qui a-t-elle trompé ? Avec qui ? Amenée par les Maîtres, les Maîtres de la Torah, la Loi, l’enseignement divin. Elle est seule face aux Maîtres, elle est seule face aux Commandements. Tous ces commandements qu’elle a transgressés, tous ces Maîtres qui l’accusent, et qui la lapideraient volontiers si les Romains leur en laissaient le droit. Et elle, seule, « au milieu » : au milieu d’eux ; au milieu de la foule, puisqu’on vient de la poser là, comme un objet, comme un prétexte. On ne s’intéresse pas à elle, mais à « de telles femmes », comme ils disent. On ne s’intéresse pas à elle, mais on cherche une fois de plus à coincer Jésus, à le faire tomber. Va-t-il dire comme nous, et il ne surprendra plus personne ? Ou bien va-t-il dire quelque chose de nouveau, et plus personne ne l’écoutera ?

 

Beaucoup de gens attendent. Que va dire Jésus ? Mais dans tous les cas, les jeux sont déjà faits : on sait qu’on ne l’écoutera plus, on sait qu’on l’accusera, on sait qu’on l’abaissera, on sait qu’on le tuera… La foule attend autour de la femme, qui est seule. La foule attend autour de Jésus, qui est désormais tout seul, lui aussi. Lui comme la femme. Coupable à cause des Commandements. Coupable de n’être pas comme « les hypocrites », comme les appelle l’évangile de Matthieu (ch. 6). Et que fait-il, lui qu’on appelle encore « Maître » ? Il « se baisse », comme pour montrer qu’il a compris. Veut-on le rabaisser ? Il y va. Voudra-t-on le tuer ? Il se laissera faire, sans « [ouvrir] la bouche, semblable à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à la brebis devant ceux qui la tondent », selon ce qui est écrit dans le prophète Ésaïe (43 / 7).

 

Beaucoup de gens attendent, au pied de la montagne, que Moïse redescende avec la Loi de Dieu… Mais Moïse tarde. Et quand il arrive avec les Tables de la Loi, son peuple danse devant un veau d’or (Ex. 32 / 19), le peuple de Dieu a commis l’adultère avec une divinité de pacotille… Beaucoup de gens attendent, autour de Jésus et de la femme. Que va dire le Maître sur l’adultère ? Autrefois, Dieu a écrit sur la pierre le Commandement. Aujourd’hui Jésus écrit sur le sol… Mais qu’est-ce qu’il écrit ? Moi qui suis adultère, adorateur des faux dieux que je me suis fabriqués, moi pécheur, transgresseur de beaucoup de commandements et de beaucoup de mes propres engagements, quelle est donc la Loi que donne Jésus, quelle est la sentence de Dieu sur ma vie ? Son doigt rappelle-t-il à ceux qui sont là l’écriture des Tables de la Loi ?

 

Mais il n’y a rien d’écrit. On a tout perdu : Jésus est abaissé, abattu, et la Loi ne délivre plus aucune parole. Le Commandement de Dieu, fait pour guider, pour offrir le bonheur, pour permettre la vie, le Commandement est devenu muet depuis qu’il a servi aux hypocrites…. Dieu est muet. Dieu ne dit plus la Loi. Dieu n’est plus le garant de la morale. Dieu n’est plus tel que nous l’avions imaginé. Le Dieu qui nous arrangeait bien, parce qu’il couvrait nos propres hypocrisies en dévoilant le péché des autres, ce Dieu-là n’existe plus. Le vrai Dieu est là, abaissé, à terre, et il n’y a rien, plus rien, à lire sous son doigt. Ou alors, oui, il écrit ce qui n’était pas dans la Loi, il écrit le Commandement qui condamne même les honnêtes gens.

 

Il « se redresse », il se relève, il ressuscite ! Vous en voulez, de la Loi ? Alors écoutez-la bien, ou plutôt, regardez-la, regardez-vous dedans ! Un jour on m’a raconté une histoire juive : un homme était chez un marchand, pour acheter un grand et beau miroir, dont le cadre était magnifiquement ouvragé, etc. Et puis, face au miroir, le client était finalement en train de se dédire, reprochant au miroir sa laideur : « Voyez comme ce miroir est laid : là, au milieu, il y a un horrible bonhomme tout sale ! » Et le marchand de lui dire : « Cher Monsieur, allez donc vous laver, et puis revenez, vous verrez comme ce miroir est beau… » Ainsi en est-il de la Loi de Dieu : elle nous montre tels que nous sommes, lorsque nous nous regardons dedans, qui que nous soyons ; elle est faite pour ça ! (Rom. 3 / 19-20)

 

Jésus est à nouveau par terre, il écrit, ou il efface, ou les deux, on ne saura jamais. Il n’y a rien à lire, sinon sa propre condamnation, chacun pour soi-même. Non. Il n’y a rien à lire. Beaucoup de gens n‘attendent plus. « Ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu’aux derniers… » Pourquoi sont-ils partis ? Ont-ils eu honte ? Ont-ils été furieux de voir la situation qu’ils avaient fabriquée se retourner contre eux ? Sont-ils désorientés ? Après tout, plus rien n’est comme avant ! Dieu n’est plus au ciel, mais par terre. La Loi est devenue illisible. Les Maîtres de la Loi se sont retrouvés accusés par elle. Ah ! s’ils étaient restés quand même, la femme n’aurait plus été seule… Quand on est entre pécheurs, quand plus personne n’a le droit de juger les autres, on se sent mieux, non ? Et peut-être y a-t-il alors des paroles à entendre…

 

Mais ils sont partis : ils ne sauront jamais ce que c’est, la fraternité des pécheurs pardonnés. La femme est toujours seule, seule avec Jésus qui s’adresse à elle, Jésus « seul avec [elle] ». Enfin, quelqu’un lui parle à elle, au lieu de parler d’elle comme d’un objet, comme d’un cas d’école, une clause de droit ! On l’avait amenée, en posant à Jésus une question sur elle. Jésus lui pose à elle une question sur ceux qui l’avaient amenée… C’est un juste retour des choses ! Comme si c’était eux, en fait, les adultères qu’il s’agissait de juger. Mais, bon, ils sont partis, tant pis ; oui : tant pis pour eux… Elle, elle est là. Elle contemple celui qui était abaissé, désormais debout, relevé, et elle, elle ne l’appelle pas « Maître », elle lui dit : « Seigneur » !

 

Car, chers amis, Jésus n’est pas un Maître de la Loi, au sens où il la commenterait et l’actualiserait. Non. Il est le Maître de la Loi, au sens où il la domine. Il est le Seigneur, qui écrit la Loi afin que je m’y voie, et qui efface la Loi, afin que je ne sois pas condamné comme je le mériterais. Jésus est celui qui me considère comme je suis, à ma place. Il est celui qui me prend comme je suis, mais qui ne me laisse pas inchangé. Il est celui dont la parole change ma vie, et me remet en route dans une autre direction, pour une vie nouvelle. Il est Seigneur, il a autorité, au vrai sens du terme : il autorise, il autorise ma vie. Il est, lui, le contraire de la Loi. Mais sans doute me fallait-il la Loi pour que je me connaisse moi-même, et que je découvre combien j’avais besoin d’autre chose…

 

Mais c’est seulement devant Jésus, seul à seul, que je réalise que ce n’est pas de quelque chose, mais de quelqu’un dont j’avais besoin, et que ce quelqu’un, c’est lui, c’est celui qui me dit : « tu peux t’en aller ». Il est – bien que l’expression puisse paraître étrange et contradictoire – il est le Seigneur de ma liberté. La femme n’est plus seule. Même loin, sur ses propres chemins désormais, elle restera éclairée de cette lumière, la lumière de cette rencontre, de ce bref dialogue, quand l’Homme debout a fait d’elle une femme debout, marchant enfin librement et non plus dans le mensonge. Je ne suis plus seul. Même aujourd’hui, même longtemps après que cette histoire s’est passée, la lumière qui fait vivre continue d’éclairer mon existence.

 

Mais ne nous y trompons pas : l’Homme debout, c’est le même que l’homme à terre, abattu par la vengeance des médiocres, tué par la haine des pécheurs impénitents qui n’aiment pas se voir tels qu’ils sont, qui n’aiment pas que Dieu soit à terre et se taise à cause d’eux. Ainsi, dès la page suivante ils décideront d’éliminer Jésus. Comme si, désormais, la femme et Jésus étaient, vraiment, du même côté, et eux d’un autre. D’un côté Dieu et les humains pécheurs, et de l’autre les justes, les soi-disant justes, soi-disant bons, soi-disant pieux : eux, ils vont « crucifier le Seigneur de gloire » (1 Cor. 2 / 8).

 

La femme avait commencé cette histoire en pleurant, elle l’achève dans les cris de joie, selon les paroles du psalmiste : « Celui qui s’en va en pleurant, quand il porte la semence à répandre, S’en revient avec cris de triomphe, quand il porte ses gerbes. » (Ps. 126 / 6) Jésus accomplira son chemin en pleurant, jusque sur le poteau de torture où on le clouera, mais le cri de victoire de la résurrection explosera à Pâques. « Alors on disait parmi les [gens] : Le Seigneur a fait pour eux de grandes choses ! » (v.2) » Sans doute, oui, les gens ont-ils pu penser ainsi en regardant la femme s’éloigner de Jésus, s’éloigner du lieu qui devait être celui de sa mort, mais qui fut celui de sa délivrance. Le Seigneur a fait pour elle de grandes choses. Comme l’aura dit une autre femme : « Le Tout-puissant a fait pour moi de grandes choses. Son Nom est saint ! » (Luc 1 / 49)

 

Les gens d’aujourd’hui le disent-ils de vous et de moi ? Non ? Comment ça ?! Le Seigneur n’a-t-il donc pas fait beaucoup pour nous ? Le psaume 126 – que j’ai déjà cité – ne dit-il pas encore : « Le Seigneur a fait pour nous de grandes choses ; Nous sommes dans la joie. » (v. 3) N’était-ce donc pas vous, là, seuls, « au milieu », femme adultère graciée par le Seigneur ? « Ce peuple que j’ai formé pour moi chantera ma louange », disait Dieu à travers un prophète (És. 43 / 21). C’est de nous qu’il parlait, bien sûr. De qui d’autre ?!… Que toute notre vie chante donc la louange de celui qui a libéré son peuple, qui nous a libérés, chacun ; qui est mort pour que nous ayons la vie. Car par lui, la mort est morte, et lui, le Vivant, il nous éclaire à jamais. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  10 juillet 2022

 

 

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