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Genèse 8 / 18 – 9 / 17
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texte :
Noé sortit, ainsi que ses fils, sa femme et ses belles-filles. Tous les animaux, tous les reptiles, tous les oiseaux, tout ce qui rampe sur la terre, selon leurs genres, sortirent de l’arche. Noé bâtit un autel à l’Éternel; il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs, et il offrit des holocaustes sur l’autel. L’Éternel sentit une odeur agréable, et l’Éternel dit en son cœur : « Je ne maudirai plus le sol, à cause de l’homme, parce que le cœur de l’homme est disposé au mal dès sa jeunesse ; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait. Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront pas. » Dieu bénit Noé, ainsi que ses fils, et leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre. Vous serez un sujet de crainte et de terreur pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui rampe sur le sol et pour tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. Tout ce qui rampe et qui vit vous servira de nourriture : je vous le donne comme je l’ai fait des végétaux. Pourtant, vous ne mangerez pas de chair avec sa vie, (c’est-à-dire) avec son sang. Mais aussi, je réclamerai votre sang (c’est-à-dire) votre vie, je le réclamerai à tout animal ; et je réclamerai à chaque homme la vie de l’homme qui est son frère. Celui qui verse le sang de l’homme Par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image. Et vous, soyez féconds et multipliez-vous, peuplez la terre et multipliez-vous sur elle. » Dieu parla encore à Noé et à ses fils avec lui, en disant : « Quant à moi, j’établis mon alliance avec vous et avec votre descendance après vous, avec les êtres vivants qui sont avec vous, tant les oiseaux que le bétail et tous les animaux de la terre, avec tous ceux qui sont sortis de l’arche, avec tous les animaux de la terre. J’établis mon alliance avec vous : (il n’arrivera) plus que toute chair soit retranchée par les eaux du déluge, et il n’y aura plus de déluge pour détruire la terre. » Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je place entre moi et vous, ainsi que tous les êtres vivants qui sont avec vous pour les générations à venir : je place mon arc dans la nuée, et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre. Quand j’aurai rassemblé des nuages au-dessus de la terre, l’arc paraîtra dans la nuée, et je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous, ainsi que tous les êtres vivants, et les eaux ne se transformeront plus en déluge pour détruire toute chair. L’arc sera dans la nuée, et je le regarderai pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tous les êtres vivants qui sont sur la terre. » Dieu dit à Noé : « Tel est le signe de l’alliance que j’établis entre moi et toute chair qui est sur la terre. »
première lecture : Évangile selon Marc 10 / 2-9. 13-16
chants : 45-08 et 36-24
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prédication :
« Que vous a commandé Moïse ? » Parole de Jésus renvoyant à l’Ancien Testament, en particulier à la Torah, la « Loi de Moïse ». Le dialogue entre lui et les Pharisiens tentateurs aurait pu s’arrêter là. Mais après la réponse de ceux-ci, qui était la bonne réponse bien sûr, Jésus fait rebondir la question : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a écrit pour vous ce commandement. Mais au commencement de la création » etc. Justement, le texte proposé pour ce culte vient de « Moïse », c’est-à-dire du Pentateuque. Il raconte la sortie de l’arche après le Déluge, et comment Dieu scelle une nouvelle alliance avec Noé et sa descendance, c’est-à-dire toute l’humanité. Cette histoire contient des commandements. Mais de plus cette histoire fait loi, le récit est lui-même commandement, histoire qui s’impose à moi pour devenir mon histoire. En quoi, donc ? Et puis, est-ce que les paroles de Jésus entendues dans le premier texte s’appliquent là aussi ?
Je ne vais pas vous refaire le pourquoi du comment du Déluge : Dieu a lavé à grande eau et passé la serpillière là où il ne pouvait plus faire autrement… Noé, et nous aujourd’hui, nous sommes après. En cela déjà nous sommes concernés par ce récit : il parle de nous ! Qu’en dit-il ? Deux choses fondamentales : « le cœur de l’être humain est disposé au mal dès sa jeunesse », et Dieu « ne maudira plus le sol, [et] ne frappera plus tout ce qui est vivant. » En quelque sorte Dieu accepte notre médiocrité et, de par cette acceptation, il n’y aura plus de destruction du monde créé. Oui, nous sommes bien dans ce que Jésus disait : « C’est à cause de la dureté de votre cœur… » La bonne nouvelle de ce récit de la sortie de l’arche, c’est que désormais Dieu fait avec. Il ne s’en satisfait pas, certes : tout dans les paroles de Jésus le manifeste. Mais il fait avec. La Loi, les commandements, toute la Bible, et jusqu’à la mort de Jésus, c’est Dieu faisant avec ce que nous sommes. Et essayant d’en limiter les dégâts !
D’autant que, tout comme à la sortie du jardin, quelques chapitres plus tôt, les relations telles que Dieu les voyait « au commencement de la création » sont maintenant détériorées. Dieu avait donné vocation à l’être humain : « soumettez [la terre] et dominez sur [tout animal] » (Gen. 1 / 28), ce qui était en quelque sorte le cahier des charges d’un emploi de gardien. Mais maintenant c’est devenu : « Vous serez un sujet de crainte et de terreur pour tout animal… » Ce n’est plus un cahier des charges, c’est une amère constatation, oui, comme pour décrire les relations désormais viciées entre l’homme et sa femme, entre l’homme et son travail (Gen. 3 / 16-19). C’est l’erreur des Pharisiens de considérer ceci comme un commandement ! C’est l’erreur de la civilisation occidentale, parmi d’autres, d’avoir fait de même ; c’est l’erreur de toute civilisation d’être allée encore plus loin, et d’avoir considéré que « l’homme est un loup pour l’homme » (Plaute, Hobbes), justifiant ainsi tout système coercitif. Tout dans le texte de ce matin nous montre Dieu le dénonçant à l’avance.
Les peurs actuelles autour du réchauffement climatique et de l’extinction des espèces due à la société humaine ne sont que la constatation certes angoissée de ce qu’a produit ce que Dieu prévoyait comme conséquence du « cœur de l’être humain disposé au mal ». Mais ces peurs oublient ce que les croyants savent, qui est exprimé par le reste de la phrase : Dieu ne détruira pas son œuvre, même abîmée, défigurée, rendant méconnaissable le Créateur et sa Création. Plus que ça, Dieu se pose en vengeur du sang versé et en dénonciateur des vengeances humaines. Là encore, « celui qui verse le sang de l’être humain, par l’être humain son sang sera versé » n’est pas le projet de Dieu, mais la constatation de ce que René Girard avait appelé « la violence mimétique », celle qu’illustrait déjà Lémèkh, descendant de Caïn (Gen. 4 / 23-24) et que tous nous connaissons bien : c’est elle qui nous fait toujours considérer que c’est l’autre qui a commencé et que je ne puis qu’y répondre, et seulement par un degré supérieur de violence pour empêcher que ça continue – ce qui fait que ça continue en pire, bien sûr…
Contre les végans, je puis bien me réclamer de ces versets qui m’autorisent à manger de la viande. Mais d’autres pourraient à bon droit m’objecter que ce n’est pas la volonté de Dieu, mais seulement un pis-aller, une tolérance. Le texte alors me met en garde non pas en m’empêchant d’être carnivore, mais en soulignant ce que cela comporte implicitement comme violence, comme sang versé, comme possibilité symbolique de violence pour moi et pour les autres. Je n’en deviendrai pas pour autant végétarien, sauf à ce que Dieu en décide autrement pour moi… Mais la mise en garde est réelle et claire, alors-même que Dieu est en train de dire une alliance perpétuelle entre lui et l’humanité – à laquelle j’appartiens – humanité avec toutes ses tares, toutes ses injustices, tous ses dangers. C’est qu’il s’agit d’une alliance entre le Dieu juste et les humains injustes, pécheurs. L’alliance n’est pas le fait d’un Dieu injuste qui aimerait le péché. Elle n’est pas non plus scellée avec les seuls justes – « Car nous avons déjà prouvé, écrivait Paul, que tous sont sous le péché, selon qu’il est écrit : Il n’y a pas de juste, Pas même un seul ; Nul n’est intelligent, Nul ne cherche Dieu. Tous se sont égarés, ensemble ils sont pervertis, Il n’en est aucun qui fasse le bien, Pas même un seul. » (Rom. 3 / 9-12, cf. Ps. 14)
Toutes ces déclarations de Dieu, ces mises en garde, ces constatations sur la nature humaine pécheresse, sont là pour nous amener vers cette alliance entre Dieu et nous, nous tous, une alliance qui n’est pas fondée sur des commandements, sur ceux transmis par Moïse, mais qui est fondée seulement sur la grâce de Dieu, sur la bénédiction qu’il prononce sur nous malgré ce que nous sommes. Les paroles de cette alliance sont fortes, elles redisent l’engagement de Dieu à ne plus punir l’humanité à hauteur de ce qu’elle commet, et donc aussi de ne plus punir en moi le péché qui me tient toujours en ses rets. Et comme toute parole d’amour, elle m’invite bien sûr à changer, à me convertir à lui, à devenir conforme à ce que Dieu attend de moi. Elle m’y invite sans se faire d’illusion, mais aussi sans se faire une raison de ce que je n’y arriverai pas. L’alliance de Dieu me tourne vers lui.
Mais comment le fait-elle ? Généralement l’alliance est scellée par un acte violent, sacrifice d’animaux parfois en grand nombre, dans certaines cultures sacrifice d’humains, dans d’autres sacrifice de soi-même, dans le judaïsme la circoncision, etc. Mais le Dieu de la Bible ne va pas demander de sang alors qu’il vient d’en dénoncer les risques et les dérives. Il va lui-même donner un signe, un signe non sanglant : l’arc-en-ciel. Les rationalistes vont hurler de rire ici : l’arc-en-ciel n’est bien sûr que le produit de la réfraction des rayons lumineux sur les gouttes d’eau en suspension dans l’air… Et alors ?! Wikipédia note aussi qu’ « un arc-en-ciel n’a pas d’existence matérielle. C’est un effet optique dont la position apparente dépend de celles de l’observateur et du soleil. » Je trouve cette phrase terriblement bien inspirée ! Elle dit à la fois le caractère fugitif, insaisissable, de l’arc-en-ciel, et l’importance de « la position […] de l’observateur et du soleil ». Je n’avais, quant à moi, pensé qu’au premier élément : l’arc-en-ciel est un signe fragile de l’alliance ! Il peut très bien ne pas être là, ou n’être pas observé. D’ailleurs il est un signe d’alliance aux yeux de Dieu : peu importe que les humains le voient ou non. C’est un mémorial de l’alliance pour que Dieu s’en souvienne – manière humaine de parler… – et ne donne pas aux humains et à « toute chair » le salaire de leurs œuvres de mort.
Comment alors ne pas penser à un autre signe d’alliance entre Dieu et les humains, signe fragile, mémorial devant Dieu de son alliance perpétuelle : la mort de son Fils sur la croix ! Chaque fois que nous célébrons la cène, nous dressons à nouveau le mémorial de cette mort, ce signe d’alliance, devant Dieu, faisant du repas eucharistique qui suit cette « anamnèse » le moyen par lequel Dieu « nous renouvelle son pardon et sa grâce », selon notre ancienne liturgie. Fragile arc-en-ciel, anodine mort d’un supplicié sur un morceau perdu de la planète, repas sans viande, sans qu’on ait versé le sang, et où la quantité de nourriture ne saurait rassasier… Faible signe référant à un Dieu faible aux yeux des humains, et pourtant pour nous signe d’une alliance que rien ne pourra rompre, et par laquelle la vie nous a été offerte une fois pour toutes par le Dieu fort. Mais pour que l’arc-en-ciel nous soit signe à nous aussi de cette alliance, et je le dis grâce à Wikipédia qui m’a éclairé là-dessus, il convient que ma position par rapport au soleil soit la bonne ! C’est seulement lorsque je me tiens en Christ que l’alliance de Dieu m’apparaît, me rassure, me fait tenir debout, me fait vivre y compris par-delà la mort.
La bonne position par rapport au soleil, c’est la foi, c’est la confiance dans ce que le Christ a accompli pour moi, confiance dans la pérennité de cette alliance malgré mon péché et toutes les forces de mort qui m’agressent et me tirent vers le bas, cherchant à me positionner de telle sorte que je ne voie plus ni l’arc-en-ciel ni même le soleil. La foi, c’est faire confiance à la parole de Dieu, à la parole d’alliance et d’amour de Dieu pour moi et pour l’humanité. Parce que Dieu m’aime pour toujours, je peux être dépréoccupé de moi, libéré de ce qui m’entrave. Et parce que, dans son amour, il me dit qu’il aime aussi les autres, je peux, ainsi dépréoccupé de moi, aimer les autres du même amour que Dieu me porte à moi. Il n’y a pas d’arc-en-ciel dans un ciel sans nuages. Mais là où il y a de la pluie, et où pourtant brille le soleil, lui que la pluie n’atteint en aucune manière, là se trouve l’arc-en-ciel, fugace et insaisissable, signe de la lumière divine qui atteint les gouttes de pluie de ma propre existence. Le verrai-je, afin d’en profiter, et de décliner les couleurs du spectre de cette lumière dans tous les aspects de ma vie, dans toutes mes relations, ou bien ne le verrai-je pas, oubliant l’amour de Dieu pour moi et me renfermant en moi-même, remâchant mes propres péchés et ceux des autres à mon égard, remâchant mes faiblesses et mes inconséquences, restant enfermé dans l’arche dont la porte a pourtant été ouverte, sauvé du Déluge mais n’en tirant aucun profit ici-bas ? Quelle tristesse ce serait…
L’arc-en-ciel rappelle à Dieu sa promesse, mais si nous l’apercevons il nous met en marche ensemble. N’est-ce pas ainsi que se terminent les films américains évoquant le Déluge, celui-ci ou un autre ? Ceux qui s’en sortent marchent joyeux et d’un même pas vers un avenir radieux. Certes la vie n’est pas un film américain tout public ! Mais quand Dieu libère, il libère un peuple, il en fait son peuple. De même, il n’a pas fait alliance avec M. Noé tout seul, mais à travers lui il a fait alliance avec toute l’humanité, figure de l’alliance scellée définitivement et totalement dans la mort du Fils unique. C’est ensemble que nous sommes au bénéfice de cette alliance, c’est ensemble que nous marchons et progressons dans la certitude de l’amour de Dieu pour nous et pour le monde qu’il a créé. Au moment où notre synode va parler d’écologie, soyons ensemble dans la certitude de la promesse de Dieu pour l’avenir de ce monde et le nôtre, entendons ensemble ses avertissements et, pourquoi pas, apprenons ensemble à changer nos comportements à l’égard du monde, des autres et de nous-mêmes, à être artisans de paix et non fauteurs de guerres entre nous ou avec les autres, afin de mieux répondre à la vocation qui nous avait été adressée « au commencement de la création ». Amen.
Senones – David Mitrani – 3 novembre 2019