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Deuxième épître aux Corinthiens, 11 / 16-19. 23 – 12 / 11
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texte :
Je le répète, que personne ne me regarde comme un insensé; sinon acceptez-moi comme un insensé, afin que moi aussi, je me glorifie un peu. Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme hors de sens, avec l’assurance d’avoir de quoi me glorifier. Puisque beaucoup se glorifient selon la chair, je me glorifierai aussi. Vous supportez si volontiers les insensés, vous qui êtes sensés ! [–] Sont-ils serviteurs de Christ ? – je parle en termes extravagants – je le suis plus encore : par les travaux, bien plus ; par les emprisonnements, bien plus ; par les coups, bien davantage. Souvent en danger de mort, cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups moins un, trois fois j’ai été battu de verges, une fois j’ai été lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme. Souvent en voyage, (exposé) aux dangers des fleuves, aux dangers des brigands, aux dangers de la part de mes compatriotes, aux dangers de la part des païens, aux dangers de la ville, aux dangers du désert, aux dangers de la mer, aux dangers parmi les faux frères, au travail et à la peine ; souvent dans les veilles, dans la faim et dans la soif ; souvent dans les jeûnes, dans le froid et le dénuement. Et sans parler du reste, ma préoccupation quotidienne: le souci de toutes les Églises ! Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? S’il faut se glorifier, c’est de ma faiblesse que je me glorifierai. Dieu, qui est le Père du Seigneur Jésus et qui est béni éternellement, sait que je ne mens pas ! … À Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens, pour se saisir de moi, mais on me descendit par une fenêtre, dans une corbeille, le long de la muraille et j’échappai à ses mains. Il faut se glorifier… Cela n’est pas bon. J’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme en Christ qui, voici quatorze ans – était-ce dans son corps ? je ne sais ; était-ce hors de son corps ? je ne sais, Dieu le sait – fut ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet homme – était-ce dans son corps ou sans son corps ? je ne sais, Dieu le sait – fut enlevé dans le paradis et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer. Je me glorifierai d’un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes faiblesses. Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité ; mais je m’en abstiens, de peur que quelqu’un ne m’estime au-dessus de ce qu’il voit ou entend de moi,
premières lectures : Ésaïe, 55 / 10-12a ; Évangile selon Luc, 8 / 4-8 ; épître aux Hébreux, 4 / 12-13
chants : 22-08 et 44-02 (Alléluia)
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prédication :
Recommandé par qui ? C’est bien le problème de Paul dans tout ce passage : les autres apôtres semblent bien ne pas recommander Paul, c’est le moins qu’on puisse dire. Relisez l’épître aux Galates pour vous remémorer la chaude ambiance entre eux tous, ou bien les Actes des Apôtres pour en avoir le même témoignage en plus feutré, sans compter quelques allusions par-ci par-là… Alors, recommandé par ses paroissiens ? À ce niveau-là comme à beaucoup d’autres, Paul n’a pas la même chance que moi ! Dès qu’il a le dos tourné, ils disent pis que pendre à son sujet… (p.ex. 2 Cor. 10 / 10) Bref, personne pour le recommander aux chrétiens de Corinthe, et peut-être personne parmi eux pour le recommander à Dieu, lui qui, selon les autres, n’est même pas apôtre, n’a même pas suivi Jésus depuis le commencement, et serait donc indigne du titre sinon de la fonction. Il a même persécuté les chrétiens avant de se convertir, rappelez-vous ! (1 Cor. 15 / 9)
Justement, c’est de cette conversion, sans doute, qu’il est ici question. Vous savez, quand on entend parfois des récits, des témoignages de conversion, que ce soit dans l’hagiographie catholique ou protestante, ou par la bouche de membres d’Églises évangéliques, on a toujours le sentiment que ces gens étaient soit des enfants soit des pourris, et que la conversion au Seigneur Jésus a fait d’eux des gens extraordinaires, assurés dans leur foi, passant leur vie en prière et en même temps en secours aux plus petits de leurs frères. Et c’est bien ainsi qu’on se représente l’apôtre Paul lui-même, presque un nouveau Moïse vengeant son Dieu en tonnant contre ses misérables paroissiens depuis un Sinaï constitué de tous ses écrits ! Du coup, beaucoup de gens, comme à l’époque d’ailleurs, l’apprécient fort peu. Peur de se faire enguirlander ? Ou bien aucune envie de lui ressembler ? Mauvais apôtre donc, effectivement, s’il fait repoussoir au lieu d’attirer à lui.
Or un apôtre n’a pas à attirer à lui, mais à Jésus. C’est bien ce que Paul essaye de dire au milieu de sa défense de son propre ministère, que nous avons entendue. Et nous, nous savons bien tout le mal que peut faire un pasteur, qu’il ait le titre ou pas, lorsqu’il est pris – ou lorsqu’il se prend – pour un gourou. Paul ne le veut pas, et il semble bien qu’il ne le puisse pas non plus. Ce qu’il veut, à travers sa vie et son ministère qui sont désormais inséparables, c’est désigner le Christ Jésus comme seul Seigneur et Sauveur. Pas lui, Paul, mais Jésus. Et pourtant, si l’on ne veut pas faire dans le discours théorique, comment désigner le Christ sans parler un peu de soi ? Comment désigner la seigneurie de Jésus sinon en montrant qu’on en est serviteur ? Comment parler du Dieu de la Bible sans manifester qu’on lui fait confiance ? Car que serait un seigneur auquel on n’obéirait pas, ou alors seulement quand on en aurait envie ? Et que serait un dieu à qui on ne ferait pas confiance ? La foi n’est pas une page d’un traité d’histoire des religions, mais c’est une relation vivante. Et comment parler d’une relation sans se découvrir soi-même tel que cette relation nous a changé ? C’est comme l’amoureux qui, disant « je l’aime », parle en fait autant de son amour à lui que de la personne aimée, mais pourtant c’est bien à celle-ci qu’il rend témoignage en disant cela…
Alors Paul parle de lui. De ce qu’il a souffert à cause de Jésus, à cause de sa foi en lui. Mais ce disant, il sait bien qu’il ne fait pas ce qu’il devrait. Qu’importent en effet ses propres souffrances, au regard de ce que Christ a souffert pour le salut du monde, et pour le salut de chacun en particulier : et de Paul et de vous et de moi. Pourtant il les raconte, ses souffrances, ses tribulations – comme on disait autrefois – il les raconte comme on décrirait le champ qui a été ensemencé, et ça pousse ! Il raconte ce que son apostolat, mais aussi son amour pour les gens, l’a amené à subir. Et il raconte aussi, et c’est le cœur de notre texte, une expérience spirituelle impossible à raconter. C’est comme lorsque vous avez vraiment rencontré quelqu’un, et qu’on vous demande ce que vous vous êtes dit, et que vous répondez juste « on a parlé » … En tout cas c’est comme ça que moi, je réponds. Ça répond, et ça ne répond pas, mais peut-on dire autre chose ? Redire les mots ne rendrait pas du tout compte de la relation dans laquelle ils ont été échangés. Lorsqu’on est capable de redire les mots, c’est peut-être qu’il n’y a eu que des mots…
Entre Paul et son Seigneur, il n’y a pas eu que des mots. Et donc, Paul est incapable de raconter l’inénarrable. Le descriptif qu’il en fait, à base d’images plus ou moins mythologiques, est en lui-même sans intérêt. Ce qui est intéressant, c’est la manière, et puis c’est la suite, pour nous qui ne sommes que de simples auditeurs de ce récit. C’est le refus que fait Paul, auquel il est contraint, refus d’en tirer une quelconque gloire. Quand vous répondez comme moi « on a parlé », les gens qui voulaient savoir ce que vous vous êtes dit s’en vont déçus et vous prennent pour quelqu’un d’inintéressant ! Mais surtout, cette incapacité d’en parler vraiment rend visible pour Paul et chez lui une autre vraie incapacité bien plus large, encore que là non plus il n’en dise pas le détail. C’est même cette incapacité qui définit Paul, à ses yeux comme à ceux du Seigneur. Ainsi, ce n’est pas la capacité de Paul – qui risque de cacher le Christ – c’est son incapacité qui le dévoile. Si je parle une langue que je maîtrise, alors on admire ma maîtrise, mais écoute-t-on mes paroles ? Si je parle une langue que je ne connais pas, alors je manifeste qu’un autre parle à travers moi, et c’est lui qu’on écoute… Ainsi la faiblesse de Paul permet à la gloire du Christ de se manifester à travers lui.
Incapable. Faible. C’est bien ce qu’on reprochait à Paul. C’est bien ce qu’on peut reprocher aujourd’hui à l’Église chrétienne chez nous. Mais il vaut mieux qu’on lui reproche sa faiblesse, son incapacité à attirer les foules ou à changer le monde, plutôt que sa richesse, sa soif de pouvoir ou l’attirance malsaine qu’elle pourrait exercer sur les esprits faibles. Il ne faut pas s’en servir d’excuse, bien sûr, et ériger ainsi sa paresse ou son manque d’imagination ou de réactivité en qualité ; Paul ne le fait pas, il déplore sa propre faiblesse… Et en même temps il est bien obligé d’en faire l’éloge, puisqu’elle est en elle-même une prédication ! Elle est sa prédication, sa théologie, sa relation avec le Christ, qu’il considère comme normative. Pour Paul, une vraie relation avec le Christ n’est pas celle qui donne la puissance, mais celle qui se met à l’abri de la puissance du Christ. Pour le dire autrement, la foi n’est pas ce qu’on fait pour Jésus, mais ce que Jésus a fait pour nous. La foi suppose la reconnaissance de son propre péché et de sa faiblesse. « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité. » (Marc 9 / 24)
Toute cette prédication, tout ce témoignage paradoxal de Paul, nous prend à rebrousse-poil. C’est le contraire de la nature humaine. Encore que celle-ci aime aussi se plaindre ! Mais c’est pour réclamer ce qu’on ne possède pas. C’est la plupart de nos prières, c’est aussi celle de Paul, à laquelle le Christ refuse d’accéder. Paul nous aide ainsi à nous faire une raison : Dieu ne nous a pas choisis et placés là où il l’a fait pour nous rendre riches et en bonne santé. Il nous a choisis et installés pour que nous, chrétiens, nous rendions témoignage de ce qui nous fait vivre, c’est-à-dire de lui, quelles que soient les conditions de notre existence physique, économique, sociale, morale, et même spirituelle. Alors, si nous regardons à nous-mêmes, c’est limite inacceptable ! Nous gardons l’idée païenne que santé et prospérité sont les marques de la bénédiction de Dieu. Auquel cas il faut bien dire que Jésus a été maudit – ce qui est une ineptie.
Déjà dans l’Ancien Testament, le psalmiste constatait que les méchants prospèrent, et que les fidèles sont traités comme moins que rien. L’Ecclésiaste remarquait que sagesse et richesse n’apportaient rien au sens de la vie. Job constatait que maladie et malheur ne sont en rien liés au démérite ou à l’infidélité. Toute la Bible, à y regarder de plus près, rejette cette équation qui arrange bien ceux qui ont tout, et nous montre plutôt un Dieu qui se lie aux rejetés, aux cadets plutôt qu’aux aînés, aux perdants, non pas pour s’y complaire avec eux, mais pour le témoignage de son amour bien plus haut que nos propres critères. Comme Paul, il nous faut donc renoncer à la puissance, qu’elle soit réelle ou fantasmatique. Il faut renoncer à ce que nous n’avons pas et qui ne nous servirait à rien pour le témoignage chrétien. Et il faut renoncer à ce que nous avons et qui ne rend témoignage qu’à nous-mêmes et à nos propres œuvres. Il faut renoncer à regarder à nous-mêmes, quoi que nous ayons ou pas, quelque état que soit le nôtre. Il faut, comme Paul, tourner nos regards vers le Seigneur, et savoir que lorsque nous faisons autrement nous sommes véritablement insensés.
Voilà en quoi consiste la faiblesse telle que Paul est bien obligé de la revendiquer, et telle qu’il nous la propose comme chemin de foi et de témoignage. Est-ce cela, la « bonne terre » de la parabole du semeur ? Non pas notre compétitivité comme croyants ou comme Église, mais notre faiblesse ? Comme Paul, il est dur de devoir accepter cela. Accepter de ne pas être à la hauteur, de ne pas être aussi performants que nous le voudrions. Accepter d’être indignes de Dieu, et pourtant choisis par lui malgré cette indignité. Accepter notre existence telle qu’elle est et laisser le Seigneur Jésus en faire ce qu’il veut, dans le sens que nous souhaitions ou dans tout autre sens, afin que sa gloire s’y manifeste sans que nous le comprenions ni parfois que nous le voyions nous-mêmes, mais lui sait ce qu’il fait ! Faire confiance, simplement, dans la joie comme dans la peine, dans l’abondance comme dans la misère, en laissant sa parole pénétrer jusqu’au fond de notre être et faire en nous et autour de nous ce qu’elle a à faire, sans chercher à la diriger selon nos critères, sans chercher à l’arrêter non plus.
Faire confiance. Croire. Croire que cette parole est toute-puissante, qu’elle est porteuse de vie et de résurrection, alors-même que ce monde respire la mort et la destruction, ce monde et ma propre vie parfois… Mais Dieu fait avec, et lui sait ce qu’il fait. Et c’est lui qui me dit, et à vous aussi : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » Ainsi soit-il !
Senones – David Mitrani – 4 février 2018